Dix sont morts ce jour-là : à l’occasion des fêtes traditionnelles de la tribu des Kalam qui se tiennent, chaque année, durant deux jours en septembre, plusieurs porcs sont tués, selon un rituel bien précis. Tandis qu’une partie du village construit le four et qu’une autre chante à la gloire du cochon, une femme se tient derrière un porc tenu en laisse à un piquet. Elle lui caresse l’échine tout en lui parlant. L’animal ne bouge pas : il fait face à un homme qui porte un gourdin. Celui-ci frappe trois fois. Puis part vers le cochon suivant, tandis que les enfants le regardent et chantent. Bientôt ils mangeront, avec le reste de la tribu, ces cochons cuits à l’étouffée.

Une monnaie d’échange

Parmi les mille tribus du pays, les Kalam seraient les derniers à avoir vu pour la première fois des Australiens. La rencontre s’est faite dans les années 1960. Les anciens se souviennent de ce moment face aux premiers hommes blancs : « Hommes, femmes, enfants, cochons… Tous sont partis en courant. Ils représentaient la mort. »

Les enfants de Simbai dégustent le cochon. Aucun morceau n’est laissé de côté. © Léopold Aries

Depuis, les Kalam accueillent chaque année, à l’occasion de leurs cérémonies communautaires, de rares voyageurs. Vingt par an. C’est dire aussi l’isolement de la région. Pour se rendre dans la vallée de Simbai, entre la plaine du fleuve Ramu et les monts Bismarck, il faut emprunter un avion de sept passagers depuis Hagen, située à deux heures d’avion de la capitale, Port Moresby. Une courte piste enherbée marque la fin de l’expédition. Il est essentiel d’oublier ses acquis pour tenter d’appréhender chaque instant offert par la tribu. En particulier, leur relation si spéciale au cochon.

Point d’orgue de tous leurs rites, l’animal est aussi une monnaie d’échange. Leur bonne santé témoigne de la richesse du clan qui les détient. Alors à Simbai, on en prend soin. Les habitants estiment qu’ils font partie de la famille. Celui qui n’a pas pu être sevré obtient même les faveurs de la femme au dernier-né. Quand certains vivent au cœur du village, d’autres sont rassemblés à proximité. Les élevages se développent. Roses, gris clair ou foncé, tous finissent sur le feu, après une vie de roi « courte et bonne », selon l’adage. Les chiens, très nombreux, en sont, quant à eux, réduits à trouver leur nourriture.

Rosanne Aries