Hashima est située à une quinzaine de kilomètres du port de Nagasaki, au sud-ouest du Japon. On l’a baptisée Gunkan-jima, « l’île cuirassée », car sa silhouette évoque un navire de guerre. Cette carcasse, aujourd’hui vide, a enregistré la plus forte densité au monde de population quand on y a trouvé du charbon pour alimenter les bateaux à vapeur assurant le trafic entre la Chine et les États-Unis.
La révolution industrielle de l’ère Meiji, entre 1868 et 1912, va la propulser à son apogée. Achetée et convertie en mine par la firme nationale Mitsubishi, elle va devenir un laboratoire architectural et sociétal. Dès 1916, le Japon y construit le premier immeuble d’habitat collectif en béton. L’île attire une communauté minière qui y vit en autarcie. Elle se couvre de buildings pour héberger les mineurs et leurs familles.
En 1941 (année de Pearl Harbor), Hashima doit faire venir de la main-d’œuvre étrangère pour remplacer les Japonais partis combattre. Des Coréens et des Chinois y sont condamnés aux travaux forcés. En 1945, l’explosion atomique qui ravage sa voisine Nagasaki ne la détruit pas. Aussi prospère que concentrationnaire, « l’utopie organisationnelle » poursuit son développement grâce à son charbon de haute qualité. Elle soutient même la reconstruction de Nagasaki.
Des écoles, un hôpital, une prison, un temple bouddhiste, un cinéma, des bars, un bordel… y ont vu le jour. Mais l’espace est une denrée rare sur ce mouchoir de poche, long de 480 m et large de 160 m, soit 6,3 ha de superficie.
En 1959, Hashima affiche la plus forte densité au monde de population avec 5 229 habitants. Neuf fois plus que Tokyo au mètre carré à la même époque. Tout est importé, même la terre. Les mineurs y cultivent leurs jardins sur les toits végétalisés d’immeubles de huit, neuf, voire dix étages sans ascenseur. Dans ces tours, les salles de bains, les toilettes et les cuisines sont collectives. Les conditions de vie sont difficiles sur cette île livrée aux typhons et raz-de-marée, mais on y gagne bien sa vie.
À la fin des années soixante, le pétrole fait perdre au charbon sa compétitivité. En 1974, la mine ferme. Hashima devient une île fantôme, rongée par le sel. Elle sert de décor à « Skyfall », le 23e film de la série James Bond, sorti en 2013. Le lieu fascine les réalisateurs comme Christopher Nolan, qui s’en inspirera pour les besoins de son film « Inception », en le reconstituant entièrement en version digitale. Sa nomination au patrimoine mondial de l’Unesco, en 2015, soulève de nombreuses contestations du côté de la Corée et de la Chine, se soldant par une indemnisation tardive de Mitsubishi aux anciens travailleurs forcés.