Le 28 juillet 1800 (9 thermidor an VIII) comparaissent à Chartres les brigands de la bande d’Orgères, du nom d’Orgères-en-Beauce (Eure-et-Loir), épicentre de leurs exactions. Pas moins de quatre-vingt-deux prévenus, hommes et femmes, avaient multiplié crimes et délits dans cinq départements : l’Eure-et-Loir, le Loiret, le Loir-et-Cher, la Seine-et-Oise et la Seine-et-Marne. Trente et un sont condamnés aux fers pour dix à vingt-quatre ans. Les plus criminels, revêtus de chemise rouge, sont condamnés à mort : trois femmes et vingt hommes, parmi lesquels Jacques Richard, dit le Borgne-du-Mans, Jacques Percheron, dit Beauceron-la-Blouse et Jacques Bouvier, dit le Gros-Normand. Après deux suicides, vingt et un sont guillotinés, le 3 octobre suivant, sur le marché aux vaches de Chartres.
Dix années durant, les campagnes de la Beauce ont été terrorisées par les agissements de la bande. Homicides répétés, vols d’argent, enlèvement de toiles de moulins à vent, incendie de meule d’avoines... scandent la chronique locale. Tout peut disparaître : chevaux, bétail, ruches, grains, pains, fromages, farines, manteaux, souliers, draps, couverts d’étain, montres. Dans la campagne la menace pèse sur toutes les catégories : fermiers, laboureurs, marchands, cabaretiers, journaliers, tisserands, empailleurs de chaises, mendiants même !
Parmi les victimes, le 4 janvier 1798, un vieux laboureur assez cossu, Nicolas Fousset, est torturé à Poupry, entre Chartres et Orléans, par des brigands qui ont enfoncé la petite porte de sa ferme. Quelques jours plus tard, il en succombe. Les chauffeurs (1) l’avaient torturé pour savoir où était son or, en lui scarifiant la plante du pied avant de la brûler ! Dans les campagnes du sud de l’Île-de-France, ce type de brigandage remonte à l’Ancien Régime. Depuis 1772, la bande d’Hulin sévit ainsi autour de Montargis, avant que ses représentants soient arrêtés en 1783. Encore plus tôt, en avril-mai 1757, la Beauce dunoise est frappée par ce fléau. Certains curés de campagne en attestent, comme celui de Thiville, au sud de Châteaudun : « Des fripons s’attroupaient, perçaient les maisons de nuit, surtout chez les personnes qui avaient la réputation pécunieuse, faisaient griller les personnes à petit feu pour leur faire déclarer leur argent. » Ils semblaient en vouloir encore plus aux curés – personnages à leur aise – qu’aux autres. Dans le Perche, le curé de Chapelle-Guillaume, « rôti auprès d’un grand feu » en trépasse deux jours après. Plusieurs victimes essuient le même sort, dans de nombreux villages à la ronde, jusqu’à Ozouer-le-Marché (Loiret), à l’ouest d’Orléans. À Villampuy, Tournoisis et La Chapelle-Onzerain, les paroissiens passent la nuit sous les armes, avertis que plusieurs bandits sont logés dans les bois et les villages voisins.
On prétendait que ces brigandages émanaient de déserteurs d’un régiment formé par un nommé Fichers. En garnison à Tours, les fripons désertaient les uns après les autres et pillaient ainsi les campagnes. De fait, depuis les grandes compagnies du XIVe siècle, ce banditisme rural était lié à la désertion et au chômage endémique.
(1) Terme populaire désignant les bandes de criminels qui s’introduisaient chez les gens et leur brûlaient les pieds pour leur faire avouer où ils cachaient leurs économies.