C’est une étrange impression d’arriver en Israël. La forteresse et ses vétilleux contrôles de sécurité franchis, on confronte ses idées reçues à la réalité complexe d’un pays dont on devine un appétit de vie insatiable. À Tel Aviv, la « ville sans interruption » comme on la surnomme, on dort peu et on mange beaucoup. La nourriture est un sujet permanent et une action de tous les instants. « Beaucoup l’ont oublié, mais à la naissance du pays, on a beaucoup manqué. Il fallait de l’imagination pour remplir les ventres sans que la bouche s’ennuie », souligne Shaul Ben Aderet, un chef de Tel-Aviv.
La cuisine est moyen-orientale, plurielle. Elle ignore les frontières politiques, à l’image des mezze, introduction obligatoire à tout repas en Israël, une farandole colorée et aromatiques de petites assiettes : taboulé, houmous et son incontournable tahini – sauce au sésame –, salades d’épinards, de dattes et d’amandes, caviar d’aubergines et… pickles.
« C’est l’éloge permanent du beaucoup ou du trop », insiste Shaul Ben Aderet. On se régale aussi de falafels à profusion, de boulettes, comme les kebbeh – communes à toute la Méditerranée –, composées de boulgour, de viande, de pignons et d’épices. On mange beaucoup avec les doigts, surtout la cuisine de rue : le sabich – sandwich –, le shawarma – proche du kebab –, les bagels, la chakchouka – œufs à la tomate et merguez. La table des desserts n’est pas en reste, qui croule sous le sucre, le miel, les amandes, les pistaches… et le halva, à base de crème de sésame.
La cuisine s’est construite au fil des migrations, depuis 1948, sur un territoire profondément ancré dans l’Orient. « Des gens sont venus de Russie, de France, du Yémen, d’Amérique, d’Inde…, de partout, et chacun est arrivé avec ses traditions, sa manière de manger et ses recettes, raconte Attalya, une cuisinière rencontrée sur le marché Carmel, fabuleux souk alimentaire de la ville. Du côté de ma grand-mère, on vient de Libye, et du côté de mon grand-père, de Pologne. Alors, imaginez le grand écart sur la table de shabbat, entre le couscous de la Méditerranée et la carpe en gelée de l’Europe orientale. »