Les frites volent et retombent dans une grande écumoire. Le trop-plein de gras s’échappe par les orifices et dans les airs et le sel se mélange aux frites d’une couleur jaune doré. « C’est pour qu’elles restent bien croustillantes, c’est un geste essentiel », assure Adrien Dewez avec cet accent si dépaysant qu’il n’a d’égal, chez les francophones, que celui des Québécois. À Bruxelles, il a ouvert le premier restaurant entièrement consacré à la frite. L’initiative a été accueillie avec circonspection et curiosité car en Belgique, la frite se mange en plein air, comme le hot-dog à New-York, au pied d’une de ces baraques que l’on appelle le fritkot. La Belgique juste un peu plus grande que la Bretagne en compte encore plus de 4500 - au bord des routes, près des gares et sur les places des villes et des villages. Le fritkot est le point de convergence. En matière de symbole, les frites passent avant le roi chez les Belges.

Place Flagey à Bruxelles, la baraque jouit et toujours d’une belle réputation. Les frites sont servies dans un cornet en papier paraffiné. Elles sont d’un gros calibre (un centimètre de côté), longues, croustillantes et sous la carapace dorée, elles dévoilent une purée onctueuse. Voici la frite belge idéale dans toute sa splendeur, jamais racornie et certainement pas creuse comme du bois mort ou alvéolée comme une mie de pain sec. Elle se déguste avec les doigts, trempée dans une sauce, de la mayonnaise seule, ou bariolée de piment, d’oignons, de ketchup… ou de fromage (jamais de la moutarde, une hérésie française, selon les Belges). Des boulettes de viande l’accompagnent à moins que cela soit l’indéfinissable fricadelle, une variante belge de la saucisse (au goût très exotique, pour rester poli !)

La Belgique partage la tradition de la frite de rue avec le Nord limitrophe où l’on trouve encore des baraques sur les bords des routes, entre Lille et Calais. Des deux côtés de la frontière, les puristes la cuisent à la graisse de bœuf (ce que l’on appelle le blanc de bœuf) comme autrefois, la frite a donc un goût caractéristique, assez fort, un peu animal qui peut surprendre et déplaire. Elle est toujours cuite en deux bains, le premier, le plus long, pour la cuire, le second, très rapide, pour la faire dorer et la rendre très croustillante.