Leur vie est ici, mais leurs racines là-bas. Qu’ils soient rescapés des conflits de 2020, de 1993, ou descendants des victimes du génocide de 1915, tous portent en leur cœur la mère patrie Arménie. Pour la diaspora, chaque conflit ravive de vieilles blessures, replongeant chaque génération dans une histoire encore chaude, palpable, toile de fond de la saga familiale. Cette communauté, citée en exemple « d’intégration réussie », fait dire aux Valentinois : « On a tous un collègue, un ami, un voisin arménien. » Leurs noms se terminent en « ian » ce suffixe qui signifie « fils de », comme à sa naissance Charles Aznavourian, qui a, bien sûr, sa place à Valence.

C’est peu dire que la petite cité cultive son « arménité ». Pour preuve, son école franco-arménienne, sa radio, sa rubrique Papier d’Arménie dans Le Dauphiné libéré depuis trente-trois ans, son grand défilé du 24 avril pour l’anniversaire du génocide et, dans son quartier Haïnots (petite Arménie), ses restos, ses épiceries, ses églises… On entre dans ce cœur battant par la rue Bouffier, pour y découvrir des institutions historiques comme le traiteur Georges et, rue d’Arménie, le restaurant Sassoun (du nom d’une ville turque qui fut arménienne). Son voisin Noushik n’a ouvert sa pâtisserie que depuis deux ans. Trois pas, et voici la touchante sculpture de Toros (1) à la mémoire du génocide arménien, qui fut inaugurée en… 1985, soit seize ans avant sa reconnaissance, en 2001, par la France.

 

Place Manouchian, un autre monument commémoratif célèbre le résistant Missak Manouchian, arrêté et fusillé avec son groupe en 1943. À quelques pas, Erevan shop, ouvert en 2020, expose en vitrine, dans des flacons en forme de kalachnikov – le fameux fusil russe –, l’emblématique cognac Ararat. Le symbole est multiple, car le mont Ararat n’appartient plus à l’Arménie, qui a rétréci au fil des conflits. Chassée de l’Empire ottoman, sa population, interdite de retour par Attaturk, vit sur un territoire de l’ancien empire russe, comme l’expose l’émouvante scénographie immersive du Centre du patrimoine arménien (CPA), qui suit le parcours des rescapés. Les Arméniens se rendent en pèlerinage à Itchevan, ville jumelée avec Valence. Ils suivent la devise du CPA : « La force de l’arbre est dans ses racines. » Réelles ou rêvées.

Martine Guilcher

(1) Toros Rastkélenian (1934-2020), sculpteur français originaire d’Alep, en Syrie, défenseur de la cause arménienne.