Le raphia est l’unique mot malgache entré dans la langue française. À Madagascar, Raphia ruffia (1) est une herbe géante, l’un des deux cents palmiers endémiques de la Grande Île. Il se multiplie librement dans les marécages, le long des cours d’eau. Il occupe les côtes, sauf à l’extrême nord et au sud-ouest, trop secs. Ses feuilles pennées sont monstrueuses, de six à douze mètres de long, parfois vingt. Elles font sa popularité. Chacune est composée de segments fixés à un rachis. Ce dernier est long et épais, très léger et résistant. Il fournit aux hommes des lattes et chevrons pour la construction de cases. La moelle interne sert de flotteurs pour les filets.
Tressés, les segments donnent des nasses, paniers et nattes. Mais la perle, ce sont leurs fibres. Une manne récoltée de tout temps par les femmes. Elles en arrachent l’épiderme supérieur (cuticule) avec un couteau ou en pliant son extrémité entre le pouce et l’index. Lavées, nouées par lots, les fibres vertes sont mises à sécher au soleil. Les femmes les tressent ensuite à la main, les tissent sur des métiers en une étoffe appelée rabane. Les brins leur servent aussi de ficelle, de fil à coudre, à faire des cordelettes, matelas et coussins. Au crochet, ils deviennent des sacs, filtres, napperons, et même de la dentelle.
Ainsi s’habillaient les populations locales jusqu’à l’arrivée des textiles de coton. Dès la colonisation française, le raphia est exploité. Il est, à la fin du XIXe siècle, l’un des principaux produits exportés, sous forme de rabane, puis de fibre brute. De nos jours, l’île reste le premier fournisseur mondial de produits artisanaux à base de raphia. Deux millions de Malgaches travaillent sa fibre pour confectionner sacs, paniers, chapeaux, corbeilles et objets décoratifs en tous genres, parfois en de vastes ateliers.
Depuis un siècle, la ressource ne cesse de s’épuiser. Le prix grimpe. Le meilleur de la production part en Asie, Amérique et Europe. Les petits artisans se contentent de la moindre qualité.
Dans les marais et les bas-fonds, le raphia s’efface au profit du riz. Faute de plantation, il s’éteint lentement comme tous les palmiers malgaches. Son commerce repose sur une cueillette collectée dans les villages. Nul ne sait pour combien de temps encore.
D. Martin
(1) Rofia ou raofia en malgache.