« C’est une campagne à oublier », balaye Carlos Ferrari avec un geste de la main. Pour cet agriculteur de la localité de Pujato, à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de Rosario, les années se suivent et se ressemblent amèrement. Depuis trois ans, l’Argentine traverse une sécheresse qui concerne actuellement plus de la moitié du territoire, « du jamais vu » selon les producteurs de la région.
Des nappes phréatiques à sec
Sur les 600 hectares que Carlos exploite avec son frère Roberto, 580 mm de pluie sont tombés l’an passé contre 930 habituellement, « et c’est comme ça depuis 2020 », soupire l’agriculteur. Résultat, les nappes phréatiques sont à sec et la récolte de blé a été d’autant plus mauvaise que des épisodes de gel tardif sont venus affaiblir encore un peu plus son rendement qui est tombé à 18 quintaux par hectare cette année, deux fois moins qu’en temps normal. Le manque de précipitations a aussi affecté les fourrages. Si les 250 bovins du cheptel de Carlos ont été relativement épargnés, « beaucoup d’éleveurs de la région ont dû sacrifier des bêtes », assure-t-il.
L’inquiétude se porte désormais sur le maïs et le soja, dont les semis ont été retardés par l’aridité des sols. Si les 65 mm de pluie qui ont fini par tomber à la fin de janvier ont permis à Carlos de semer sur les 200 hectares qu’il désespérait de pouvoir emblaver, le mal est déjà fait : « On va peut-être pouvoir en tirer quelque chose, mais il est déjà tard et tout va dépendre du temps dans les prochaines semaines et de quand arriveront les premières gelées. On peut encore éviter le scénario catastrophe, mais ça ne suffira pas à compenser les pertes. »
« Les pertes sont déjà là »
Une analyse partagée par le directeur des études de la Bourse de commerce de Rosario (BCR), Julio Calzada : « Même si les précipitations de ces deux dernières semaines ont dépassé les prévisions les plus optimistes, les pertes sont déjà là. Sur nos estimations, les récoltes de blé, de soja et de maïs seront inférieures de 28 millions de tonnes à ce que nous prévoyions en début de campagne. » La BCR table désormais sur une production totale de 37 millions de tonnes de soja et 30 millions de tonnes de maïs, soit respectivement 12 % et 41 % de moins que l’an passé.
« L’autre facteur à prendre en compte, c’est l’évolution des prix internationaux, poursuit Julio Calzada. Ils ont monté pendant un moment à cause de la sécheresse ici, mais comme le Brésil va apparemment avoir de très bonnes récoltes de maïs et de soja, cette augmentation ne suffira pas à compenser les pertes des producteurs. »
Le gouvernement argentin a annoncé le 1er février 2023 une batterie de mesures fiscales pour soutenir les agriculteurs, ainsi que la création d’un « fond renouvelable » doté de cinq milliards de pesos (environ 25 millions d’euros). Pas de quoi rassurer Carlos Ferrari cependant : « Ces aides, on n’en voit jamais la couleur. Plus qu’au gouvernement, on s’en remet à la météo en espérant qu’il pleuve régulièrement dans les prochaines semaines pour sauver ce qui peut encore l’être », conclut l’agriculteur en levant la tête vers le ciel.