Julien Chaussepied est installé depuis à peine un an sur la commune de Lys-Haut-Layon dans le sud du Maine-et-Loire. Il est originaire de Noyant-Villages au nord-est du même département, où son père était éleveur laitier avec trois associés. « À l’approche des départs en retraite, leur Gaec a été dissous et la production laitière arrêtée pour laisser place à trois installations en cultures dans la génération suivante, explique le jeune homme de 28 ans. De mon côté, je n’étais pas intéressé par un tel système avec des robots de traite et sans pâturage. Je pensais plutôt à une structure plus petite avec des animaux dehors. »

- La ferme, située en Anjou, dans un paysage de bocage vallonné, a séduit les jeunes éleveurs. Les chemins nécessaires pour développer le pâturage sont déjà aménagés.

Également attiré par la mécanique, Julien passe d’abord un BTS dans ce domaine, à l’issue duquel il réalise qu’il n’en fera pas son métier. Renouant avec le choix de l’agriculture, il se met en quête d’une formation pour adultes. « Je suis tombé par hasard sur un brevet professionnel de responsable d’entreprise agricole (BPREA) à côté de Chambéry : il consistait en deux années d’apprentissage chez des éleveurs pratiquant la transhumance vers les alpages et la transformation du lait. Cela correspondait à ce que je voulais faire. » Julien enchaîne avec un certificat de spécialisation (CS) dans la transformation fromagère à l’Enilv de La-Roche-sur-Foron en Haute-Savoie. Au total, il travaille durant huit ans, comme apprenti puis salarié, dans plusieurs fermes en filière reblochon. Et fait la connaissance de Léa Clavel, fille d’éleveurs, se destinant initialement au métier de puéricultrice.

© C.FAIMALI/GFA - La présence d’un étang sur l’exploitation est un moyen de sécuriser l’implantation des jeunes prairies comme ce fût le cas en 2022. Le volume d’eau autorisé est de 14500 m3.

« Convertir l’ensemble des terres à l’herbe »

Après huit ans, Julien ressent l’envie de construire son propre projet, et Léa est prête à le suivre dans l’aventure. Toutefois, face à la difficulté de trouver une opportunité en filière reblochon, ils décident de tenter leur chance en Maine-et-Loire et ont rapidement écho, via leur réseau d’amis, d’une ferme à vendre à Lys-Haut-Layon. Après leur visite sur place en juillet 2021, l’affaire est conclue dès le mois d’août. Le cédant arrête immédiatement son activité sachant que Julien ne s’installera pas avant mars 2022. « Je n’ai pas gardé le troupeau de prim’holstein et brunes. Je voulais passer en race normande car j’ai toujours aimé cette race et je vise le rendement fromager. Je prévoyais aussi d’abandonner le maïs et les céréales pour convertir l’ensemble des terres à l’herbe. Nos deux objectifs sont le pâturage et la transformation : nous misons sur un système économe et sur la qualité du lait. » De son côté, Léa ne prévoit pas de s’installer sur l’exploitation : elle y sera salariée tout en étant gérante de la future société commerciale qui sera créée pour la vente des fromages en direct et circuits courts.

© C.FAIMALI/GFA - Julien lorsqu'il s'installe décide de ne pas garder le troupeau de prim'holsteins du cédant et achète 57 vaches et génisses normandes.

Pour préparer son installation, Julien se met en quête d’un troupeau de normandes auprès de l’entreprise Innoval. Il achète d’abord 57 vaches et génisses de bon niveau génétique, disponibles à la suite d’un arrêt d’activité dans le Finistère. Puis trouve un lot d’une vingtaine d’animaux en Mayenne, vendus dans le cadre d’un départ en retraite. « Finalement, le plus difficile a été de trouver une laiterie ! observe Julien. J’en ai contacté cinq mais elles semblaient peu intéressées par un volume de 200 000 litres de lait. Avec l’appui d’élus de la coopérative Agrial, j’ai finalement reçu une réponse positive le 25 mars dernier, moins d’une semaine avant l’arrivée de mes premières vaches ! Nous n’étions pas tout à fait sereins ; ce fut une période difficile à vivre avec beaucoup de stress. »

© C. FAIMALI/GFA - Le bâtiment des vaches laitières devrait être agrandi dans les cinq prochaines années, tout en maintenant l’aire paillée. Le fumier sera transformé via le méthaniseur Bioénergie Vihiers, et le digestat en excès sera échangé contre de la paille.

« Nous fabriquerons les fromages deux matins par semaine »

2022 fut une année de transition pour le jeune couple. En arrivant en mars sur la ferme, ils disposent de huit hectares de prairies naturelles, quinze hectares de ray-grass d’Italie qui fourniront une dernière coupe, et quatorze hectares nus à la suite de la récolte du maïs en 2021. Dès le printemps, ces quatorze hectares sont semés en prairies multi-espèces composées de ray-grass anglais, fétuque élevée, dactyle, pâturin des prés, trèfle blanc et lotier. À l’automne 2022, ils utilisent le même mélange pour ensemencer, sous couvert de méteil ou d’avoine, les parcelles auparavant en ray-grass d’Italie. « Nous aurons besoin de méteil chaque année pour les apports d’énergie dans la ration, explique Julien. Pour le moment, nous sommes contraints d’acheter des camions de cinq tonnes de concentré pour 2 200 à 2 500 €, toutes les deux semaines jusqu’au printemps 2023. Après la récolte du méteil grain en juin, nous ferons pâturer la prairie. » Quant à l’avoine, elle sera pâturée puis broyée, ou enrubannée pour un voisin.

© C.FAIMALI/GFA - Méteil de triticale, pois protéagineux et féverole semés à l’automne 2022 avec une prairie dessous. Récolté en grains, il contribuera à l’autonomie protéique de la ration aux côtés des prairies riches en légumineuses et du foin de luzerne acheté à l’extérieur.

Le pâturage n’a pas été optimal en 2022 afin de laisser aux jeunes prairies le temps de s’implanter. « L’année a été un peu compliquée, reconnaît Julien. Je n’avais pas de stock. Il a fallu acheter des concentrés mais aussi du foin et de la paille. De plus, les animaux ont été bloqués dans des bâtiments non adaptés à l’effectif. Cela a demandé beaucoup de travail. En 2023, ils seront davantage à l’extérieur grâce aux nouvelles prairies aménagées. Nous fonctionnerons en pâturage tournant dynamique pour optimiser notre petite surface. Il faudra continuer à acheter du foin, notamment du foin de luzerne. »

© C.FAIMALI/GFA - Le matériel est très limité. Julien a emprunté au début le tracteur de son prédécesseur avant d’en acheter finalement un à l’automne, aidé par le prix du lait. Il fait appel à la Cuma pour le chargeur télescopique afin de nettoyer la litière, pour le semis des prairies, le pressage, le transport. Il a investi dans du matériel de fenaison et une pailleuse d’occasion.

Les jeunes entrepreneurs ont également commencé les démarches pour aménager un laboratoire dans une ancienne étable de 200 m2, ainsi que des caves d’affinage chez un vigneron à proximité. Ils espèrent commencer la transformation dès l’automne 2023 et les ventes en 2024. « Notre objectif est de fabriquer les fromages deux matins par semaine à partir d’un gros volume de lait, expliquent-ils. Nous ferons uniquement des fromages affinés entre deux et douze mois : une pâte cuite de type gruyère en meules de trente kilos, du fromage à raclette, une pâte pressée non cuite de type Saint-Nectaire, et peut-être une pâte molle. À terme, nous aimerions entrer dans la démarche Lait de foin, mais il faudra un séchoir en grange. » Côté commercialisation, les débouchés visés sont un supermarché local, un marché de producteurs, un magasin à la ferme, ainsi que la restauration collective.

Un prix du lait favorable

Il faudra plusieurs années avant que le système choisi par Julien et Léa trouve son rythme de croisière, notamment en matière d’autonomie fourragère et de commercialisation des fromages. Mais ils sont optimistes. « Nous avons établi notre projet prévisionnel sur un prix de vente de 320 € la tonne de lait auxquels s’ajoutent 30 € de bonification qualité. Nous avons démarré en mars dernier à 415 € et 50 € pour la qualité, et nous atteignons aujourd’hui 500 € au total. Cela nous permet de financer notamment les dépenses élevées en aliment concentré. »

- La salle de traite en 2 x 5 postes a été refaite en 2014. La traite demande une heure le matin et une heure le soir. Un second tank maintenu à une température de 10°C favorable à la flore naturelle du lait sera utilisé pour stocker les volumes dédiés à la transformation.

Côté production, les premiers résultats sont prometteurs. Ils atteignent en moyenne 7 300 litres de lait vendus par vache et par an depuis mars dernier, pour un volume de 5 500 litres pris en compte dans le prévisionnel. Dans leurs précédents élevages, les normandes achetées par Julien produisaient jusqu’à 9 000 litres.

Côté travail enfin, Julien et Léa estiment possible de faire face à deux pour le moment. « La traite du matin est à 6 heures et celle du soir à 17 heures dans l’objectif de finir la journée à 18 h 45. Dans les fermes de montagne en filière reblochon où chaque traite est transformée dans la foulée, la journée se termine plutôt à 20 heures voire 20 h 30, témoigne Léa. Ce sont des systèmes très contraignants. Nous aspirons à avoir une vie de famille dans le futur, à pouvoir prendre des week-ends et des vacances grâce au service de remplacement, voire peut-être à recruter un jour un salarié ou un apprenti. »