Lorsque le vaisseau Le Grand Saint-Antoine accoste à Marseille, fin mai 1720, il porte la mort, matérialisée par  Yersinia pestis, de génotype orientalis. Une peste sans rats, venue de Syrie, puisque le vecteur de ce génotype est le pou et non la puce. Des ballots de soie débarqués en fraude sèment la maladie dans la ville fin juillet. Au cours de l’été, toute la Provence est infectée. La progression est censée être contenue par un cordon sanitaire­. Entre Provence et Comtat, on construit un véritable mur à la demande du vice-légat du Pape. Il en va de même avec le Piémont.

Néanmoins, les barrières sont franchies en raison de la nécessité du commerce. Transporté par des hommes qui circulent sans autorisation et par des marchandises de contrebande, le bacille de Yersin franchit le Rhône et infecte le Languedoc. La contagion s’étend aux campagnes. Dès novembre 1720, il éclate à Corréjac, dans le Gévaudan, puis à La Canourgue, le bourg proche. Pendant l’hiver, un blocus local arrête un temps l’épidémie, qui reprend au printemps 1721. Marvejols est touché en mai 1721, puis Mende en août, avant que tout le Vivarais et le Gévaudan ne le soient durant l’été. La dispersion de l’habitat et la difficulté d’organiser à l’intérieur des blocus efficaces favorisent la progression. Au nord-est de Marvejols, Saint-Léger-de-Peyre (Lozère) est l’une des communautés les plus septentrionales qui soit victime. Pour éviter la contamination, les familles enterrent elles-mêmes leurs pestiférés dans les jardins. L’un des prêtres de la paroisse décrit une situation de détresse qui rappelle les siècles antérieurs : « Le père abandonnait son enfant, l’enfant le père, le mari la femme, et la femme le mari, sans en paraître touchés de douleur. Nous avons vu les corps, dans le village de Valadou, rester huit jours sans que personne voulût les inhumer. Toute une famille ayant péri sur le Causse, [on dut] traîner les cadavres avec des crochets et des pioches dans la fosse. » Pour ne pas avoir été enterrés assez profondément, des cadavres sont dévorés par les chiens. À Valadou, sur 160 habitants, 107 sont morts, 30 sont convalescents. À Marvejols, 1 800 personnes succombent sur 2 756 habitants.

L’ampleur de la contagion engage les autorités à renforcer le cordon sanitaire pour protéger les provinces plus au Nord. « La maladie, note le curé de Villereversure (Ain), dans le Revermont, s’étendit dans la Provence et jeta une si grande alarme dans le royaume que l’on gardait les portes des villes et petits bourgs jusqu’au bout de la Bourgogne et Franche-Comté. On n’y pouvait entrer qu’avec des billets de santé, signés des curés ou officiers des lieux. En Savoie, on faisait tirer le mousqueton sur ceux qui voulaient entrer par force. » Ces mesures sont efficaces car, dans le Sud-Est, les derniers foyers sont confinés autour d’Alès, Avignon, Marseille, Mende et Orange et la peste disparaît en 1722.

Jean-Marc Moriceau, Pôle rural MRSH-Caen