L’inventaire mobilier, pratiqué depuis le XVe siècle, offre aux parties prenantes un instrument de référence et d’arbitrage. Bétail et train de culture (1), stocks de grains et fourrages, avances à la terre, créances commerciales sont successivement passés en revue. Ces inventaires mobiliers sont dressés par les notaires lors de la rupture de la communauté des exploitants. Le plus souvent, il s’agissait du ménage des parents que la mort avait brisé en activité et on avait affaire à l’« inventaire après décès ». Dans les campagnes où les conjoints exploitaient sous le régime de la communauté, l’acte intervient quelques jours après la mort du père ou de la mère pour protéger les intérêts des enfants restés mineurs (moins de 25 ans jusqu’en 1789). Il en allait de même pour les héritiers collatéraux, si la rupture concernait un ménage sans enfant.

Les inventaires de cession marquent la « transmission entre vifs » d’une ferme et du capital d’exploitation. La plupart assurent l’établissement économique des jeunes fermiers au moment du mariage. Avant chaque contrat, les deux familles dressent de concert la liste détaillée des dots : l’une réduite à l’indispensable trésorerie de départ, l’autre évaluant les objets de culture cédés avec le bail aussi précisément que les inventaires après décès. Rédigés généralement avant l’intervention du notaire, les inventaires de cession ont souvent disparu dans les contrats de mariage qui les entérinaient : le notaire ne retenait alors que la valeur totale et la nature des dots. Ces dernières étaient à la mesure des capacités d’exploitation à une, deux ou trois « charrues », voire davantage, la « charrue » correspondant à un attelage complet (deux chevaux de trait, puis trois à compter de 1750, une charrue de labour, une voiture à roues, une herse, etc.). Mais ces dots restaient souvent inférieures au capital transmis : l’accès à l’indépendance économique ne se produisait qu’après remboursement du surplus aux parents, quelques années après le mariage.

Au même type d’inventaire appartient le « transport de bail » consenti en cours d’exploitation à un étranger. À côté du droit au bail lui-même, figuraient le détail de l’équipement vendu avec la ferme, ainsi que les avances culturales déjà réalisées. Si les inventaires après décès demeurent majoritairement des actes publics, judiciaires ou notariés, les inventaires de cession entre vifs faisaient l’objet d’une pratique privée. Celle-ci se développe au XIXe siècle au profit des enfants cultivateurs, dans des familles moins nombreuses où les parents abandonnent plus tôt l’exploitation pour profiter d’une retraite financée par le travail des enfants. Car c’est en famille que l’exploitation agricole offrait, avec le foncier, un moyen de protection sociale, une installation économique et un statut. Une réalité qui a persisté jusqu’à aujourd’hui.

Jean-Marc Moriceau, Pôle rural-MRSH Caen

 

(1) Ensemble formé par l’attelage, les animaux de trait, les outils de labour ; ensemble du matériel agricole d’une ferme.