Cette année 2022, peut être encore plus que les précédentes, la période des négociations commerciales a été le témoin de très fortes tensions entre les maillons de la filière agroalimentaire. Selon les premiers retours à chaud, communiqués par les ministères de l’Agriculture et de l’Économie le 2 mars 2022, les négociations commerciales ont abouti, pour la première fois depuis huit ans, à une inflation sur les prix d’achat des produits alimentaires. Certains avancent même le chiffre de 3 % de hausse.
Le ministère de l’Agriculture prévient : ce sont les premières tendances. L’observatoire de la médiation des négociations commerciales agricoles publiera des données plus précises, par filière, à la fin de mars.
Un effet Egalim 2
Le gouvernement dresse un bilan plutôt positif des premières négociations sous l’ère de la loi Egalim 2. « Si la loi Egalim 2 n’avait pas été présente, les négociations auraient été pires pour les produits alimentaires », estime un membre du ministère, se justifiant par le fait que concernant les produits non alimentaires les prix seront en « déflation, voire en neutralité ».
Pour les grands groupes, le taux de signature des contrats entre les enseignes et leurs vendeurs dépasse 80 % pour la plupart. Une ou deux enseignes font exception mais se situent néanmoins entre 50 et 80 % de signatures, précise le cabinet. Pour les produits non alimentaires, ces taux sont du même ordre, ce qui indique que la loi Egalim 2 n’a pas d’effet sur le taux de signature des contrats, estime-t-on au ministère de l’Agriculture. C’est plutôt « le contexte inflationniste qui a rendu les négociations difficiles ».
Lors d’une table ronde organisée le 1er mars 2022 au Salon de l’agriculture, le ministre Julien Denormandie avait déjà signifié qu’il ferait preuve « d’une grande fermeté ». « Il ne faut pas que certains contrats soient le contrat qui cache la forêt. S’ils ne sont pas bons, on prendra des sanctions durement », a-t-il assuré. Le ministre de l’Agriculture a garanti, à plusieurs reprises, que plus de 1 100 contrôles seront réalisés par la DGCCRF (direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes), « avec discernement ». Ils concerneront notamment les cas de non-signature au 1er mars et, dès lors que cela relève de la mauvaise foi, les contrevenants encourent une sanction de 375 000 €.
Le nouveau médiateur des relations commerciales agricoles, Thierry Dahan, a par ailleurs fait savoir que, durant toute la période des négociations, il a été saisi pour une soixantaine de dossiers, soit une vingtaine de plus que l’an dernier, qui était déjà une année record.
Rien ne change
Pour autant, ce n’est pas la satisfaction qui prévaut parmi les acteurs. Si les distributeurs se sont dit dans l’ensemble prêts à appliquer les hausses demandées par le maillon agricole, qu’ils ont l’obligation de sanctuariser du fait de la loi Egalim 2, ce n’est pas le sentiment des syndicats agricoles. Lors de cette même table ronde, Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, se disait satisfaite du volontarisme affiché, mais fustigeait les baisses de prix demandées par certains distributeurs. « Les comportements n’ont pas changé, regrettait-elle. Depuis huit ans, il y a de la destruction de valeur sur l’alimentation […]. Le pouvoir d’achat des consommateurs est privilégié au détriment du pouvoir d’achat des agriculteurs. » C’est, selon elle, « l’échec de la distribution à la française ».
La Coordination rurale considère de son côté que le bilan n’est pas à la hauteur des attentes, notamment pour les éleveurs, producteurs de lait. « Les prix annoncés sont en effet bien en deçà des coûts de production des éleveurs. La loi Egalim prouve une nouvelle fois son inefficacité », dénonçait le syndicat avec l’European milk board (EMB) et l’Association des producteurs de lait indépendants (APLI), le 1er mars.
Les industriels inquiets
Depuis la mise en œuvre de la loi Egalim 2, la part de la matière première agricole dans le prix n’est plus négociable et les discussions se sont reportées sur la part du prix concernant les matières premières industrielles. Un constat partagé par Jean-Philippe André, président de l’Association nationale des industries alimentaires (Ania), qui estimait, lors de cette table ronde, qu’il manquait 2 à 3 points de hausse sur les demandes des transformateurs. « Les industriels ne peuvent pas se permettre de perdre 2 à 3 points », prévenait-il, inquiet. Il considère que les demandes formulées sont « raisonnables et raisonnées » pour permettre aux industriels de couvrir leurs coûts réels, qui ont augmenté de manière « inédite » et non prévisible. Le discours sur la défense du pouvoir d’achat, agité par les distributeurs, ne passe plus, ni du côté des agriculteurs, ni du côté de l’Ania.
La loi Egalim 2 a changé le rapport de force et la pression ne pèse plus uniquement sur le maillon agricole. Mais celui-ci reste favorable aux distributeurs qui se concentrent en seulement quatre centrales d’achat. Pour Dominique Chargé, président de la Coopération agricole, il faut faire attention « à ne pas transférer la faiblesse d’un maillon vers un autre ». Il craint un affaiblissement des filières. Un constat qui pose à nouveau la question du poids du maillon agricole et de la nécessité de se regrouper en organisation de producteurs. Un enjeu qui a été peu mis en avant dans la loi Egalim 2, mais qui pourrait l’être dans la future Pac par l’intermédiaire des programmes opérationnels.