Quand elle s’est installée officiellement en février 2022, à l’âge de 35 ans, Emmanuelle Toussaint était bien décidée à surmonter tous les obstacles. « Rien n’aurait pu m’empêcher de vivre mon rêve : faire du fromage », souligne celle que tous ses proches appellent Manue. Malgré son énergie, sa formation (BTS Acse et Bachelor Ihedrea) et son expérience professionnelle, cette fille d’éleveurs laitiers s’est retrouvée débordée en 2023, lorsque ses chèvres sont arrivées en production.
« J’avais pensé à tort pouvoir seule tout mener de front, explique-t-elle. J’avais pris en compte les problèmes de marché relatif aux prix de vente, l’augmentation des coûts, la maîtrise technique, mais j’avais sous-estimé la charge de travail et l’enjeu organisationnel. Au printemps 2023, j’ai dû jeter mon lait pendant quinze jours. Les 40 chevrettes avaient mis bas alors que la fromagerie n’était pas prête, les travaux ayant pris du retard. Par ailleurs, trop accaparée par la transformation, je n’avais pas le temps nécessaire pour créer et développer mon réseau de commercialisation. Heureusement, mon installation avait fait un peu de bruit dans la région. Les gens sont venus par curiosité et ont acheté des fromages. »
Depuis, grâce au recrutement d’une salariée à temps partiel, non prévu dans son étude d’installation, Manue a pu sortir la tête de l’eau. « Petra m’a déchargée d’une partie de mon travail en fromagerie, ce qui m’a permis de me consacrer davantage à la vente. »

Des lactations longues
Aujourd’hui sur de bons rails, Manue élève ses 60 chèvres en hors-sol dans un bâtiment neuf, en bois avec aire paillée, propice au confort et au bien-être des animaux. Les 4 hectares attenants servent au pâturage à la belle saison. Les fourrages et les concentrés sont achetés. Pour la conduite du troupeau, les lactations longues (18 mois en moyenne) sont privilégiées.
« Les chevrettes qui ont mis bas en mai 2024, seront taries en janvier 2026, précise la jeune éleveuse. Ce mode de conduite qui nécessite une bonne alimentation et une génétique adaptée, a de nombreux avantages. Avec des mises-bas plus espacées et moins de transitions alimentaires à gérer, les risques de « casse » sur les animaux sont réduits. » Il y a aussi moins de cabris et donc moins de débouchés à rechercher. Un soulagement alors que la demande pour les chevreaux s’est tarie.
Boutique à la ferme
Trois ans après son installation, la priorité de Manue est de développer le commerce, puis la production. « Il manque actuellement 20 000 € de chiffre d’affaires pour couvrir les charges, observe l’ancienne conseillère d’entreprise. Le bâtiment, dimensionné pour 90 chèvres, en a la capacité. » Emmanuelle compte y aller progressivement. L’objectif est d’avoir 80 chèvres en 2028 avec une production moyenne de 700 litres de lait par chèvre et par an, et une production globale de 56 000 litres dont 52 080 transformés vendus en direct (contre 36 000 litres de lait produits et 30 000 litres transformés en 2024).

Les fromages sont actuellement écoulés dans deux restaurants dont celui du chantier médiéval de Guédelon, site touristique majeur de la Puisaye avec près de 300 000 visiteurs par an. Ils sont aussi valorisés dans deux épiceries, deux supermarchés et sur des événements locaux. À la ferme « des Demoiselles de Manue », la boutique est ouverte le mercredi matin, le vendredi après midi, le samedi toute la journée et le dimanche matin. En 2024 au Salon de l’agriculture, Emmanuelle a reçu une médaille de bronze pour ses fromages frais.
Alors que les premières annuités tombent (près de 30 000 € par an), l’éleveuse, mère de deux enfants de 4 et 6 ans, ne s’accorde pas encore de salaire. « Payer ma salariée est ma priorité », dit-elle. C’est son conjoint qui assure pour l’instant le financement du ménage. « Pour lui, comme pour moi, il était clair dès le départ que je ne pourrais pas m’accorder de salaire avant la troisième année d’installation. C’est un choix de vie et de couple. »