Grâce aux quotas sucriers et au prix minimum, les prix européens du sucre se définissaient indépendamment des prix mondiaux, et de façon isolée. Néanmoins, le marché semble anticiper la fin des quotas, puisque les prix européens se rapprochent des cours mondiaux (voir infographie). « Les prix européens vont naturellement converger vers les cours mondiaux, mais pas totalement car l’UE conservera certaines barrières, comme ses contingents préférentiels, droits de douane… », explique François Thaury, spécialiste du sucre chez Agritel.
« La fin des quotas marque aussi la fin de la distinction entre les prix du sucre quota (437 €/t en octobre 2016) et celui hors quota (340 €/t à la même date), moins bien valorisé », précise Marc Zribi, délégué de la filière sucre chez FranceAgriMer. Leurs prix vont donc converger. « Les experts s’accordent aussi sur une baisse des prix moyens du sucre à terme au sein de l’Union européenne, puisque la concurrence, qui n’existait pas jusqu’alors du fait des quotas, apparaîtra entre les pays de l’UE et entre les industriels », analyse Natalia Riabko, analyste marché du sucre chez FranceAgriMer,
Le prix dicté hors de nos frontières
« Le prix du sucre sera établi en dehors de nos frontières, par les géants mondiaux du sucre », annonce François Thaury d’Agritel. Bien que l’UE soit le troisième producteur de sucre au monde, nous ne pèserons que peu sur le prix du sucre. C’est d’abord le Brésil qui règne sur le marché mondial avec sa production de 37 Mt en 2015-2016, et surtout ses 23 Mt exportés, qui représentent à eux seuls 40 % des volumes de sucre échangés à travers le monde ! C’est ensuite la Thaïlande avec ses 10 Mt produites, dont une grande partie part à l’exportation, qui régit les prix, puis l’Australie avec près de 70 % de sa production (4,8 Mt en 2015-2016) qui part à l’export.
Contexte de prix favorable
Alors que les prix mondiaux du sucre étaient au plus bas au mois d’août 2015, les cours ont plus que doublé en moins d’un an. En cause, les prévisions d’un déficit mondial de sucre engendré par une baisse de production au Brésil, en Asie du Sud-Est et en Europe. Ce déficit est estimé à 5,3 Mt pour 2015-2016 et à 7 Mt pour 2016-2017, « il devrait même persister jusqu’en 2018, ce qui laisse penser que les prix devraient rester hauts d’ici là », précise François Thaury. « Ce contexte de prix est une aubaine pour la sortie des quotas, qui se fera dans des conditions moins difficiles », se réjouit Alain Commissaire, directeur de Cristal Union.
Reconquérir le marché international
« L’UE ne sera pas tout de suite exportateur net, elle va d’abord équilibrer son propre bilan », précise Natalia Riabko. Néanmoins le marché européen va passer d’un bilan déficitaire à équilibré, et diminuera ses importations. « L’Union européenne sera ainsi moins attrayante pour les importateurs, car leur marge sera moins élevée », explique Marc Zribi (FranceAgriMer).
Le verrou de l’exportation va tout de même être levé et FranceAgriMer s’attend à ce que l’UE exporte autour de 2 Mt vers les pays tiers à moyen terme. Un volume bien éloigné des 6 Mt exportées avant la réforme de 2006. « Le marché va être très concurrentiel et certains acteurs vont disparaître de la carte », précise Marc Zribi. Des acteurs vont perdre des parts de marché : en Grèce, Italie, Espagne et Hongrie. Certains stopperont leur production, du fait du manque de compétitivité et de conditions climatiques moins favorables. « Dans un même temps, l’Allemagne, le Benelux, la Pologne et bien sûr la France vont chercher à reconquérir l’export », précise François Thaury. « Après la réforme de 2006, nos anciens partenaires au Maghreb et au Moyen-Orient sont allés chercher du sucre roux en Thaïlande et ont construit des raffineries géantes. Ces marchés seront complexes à reconquérir », raconte Marc Zribi. Le réel enjeu pour la France se trouve en réalité en Afrique noire. « Il s’agit d’un foyer de croissance énorme et nous avons des relations historiques là-bas », explique François Thaury. Les fabricants se positionnent d’ailleurs déjà au niveau des différents pays déficitaires intra et extracommunautaires (lire encadré).
Incertitudes
Après 2019, les prix mondiaux risquent de repartir à la baisse. Leur hausse brutale a incité de nombreux pays à augmenter leurs volumes de production et le déficit ne sera plus d’actualité. « Les sucriers pourront-ils donner autant de visibilité aux planteurs à ce moment-là ? », s’interroge Marc Zribi.
S’approprier les marchés à terme
Volatilité des prix oblige, de nombreux experts s’accordent sur l’importance que prendront les marchés à terme sur le marché européen du sucre. Euronext a d’ailleurs annoncé le lancement du premier contrat à terme sur le sucre blanc, en euro. « Ce contrat aura l’avantage d’éviter le risque de change », précise Marc Zribi. Les marchés à terme permettront une transparence des prix du sucre en Europe, ainsi que la mise en place de mécanismes de couvertures identiques à ceux existant en céréales. « On peut imaginer que, d’ici peu de temps, certains contrats proposés aux planteurs de betteraves pourront voir figurer un prix fixe ainsi qu’un prix indexé sur les marchés à terme, ou bien même des options », imagine François Thaury. « Les planteurs seront soumis à la volatilité des prix et nous souhaitons que les fabricants s’emparent des outils du marché à terme pour aider les planteurs à gérer ces risques », estime Alain Jeanroy, directeur général de la CGB.