La transmission à double embrayage, technologie héritée de l’automobile, commence à faire ses armes en agricole. Alors que John Deere avait dégainé le premier avec sa Direct Drive, il y a déjà plus de six ans, CNH (Case New Holland) lui a répondu en présentant la Dynamic Command pour les New Holland, et son homologue chez Case IH, l’ActiveDrive 8, l’année dernière. Dans les deux cas, la transmission se compose de trois gammes et de huit rapports sous charge. Elle délivre ainsi vingt-quatre rapports en marche avant comme en marche arrière. Ces boîtes utilisent deux arbres pour les rapports powershit (un pour les rapports pairs et un pour les impairs) et un embrayage pour chaque arbre. Alors que John Deere l’utilise sur ces tracteurs 6 cylindres de la série 6R, New Holland la monte sur ses engins 4 cylindres et, depuis peu, sur son T6.180, équipé d’un 6 cylindres. Nous avions donc peu de choix pour comparer les deux marques et les deux transmissions.
Une semaine dans le Berry
Retour début juillet, sous le soleil Berrichon, où John Deere a mis à à notre disposition un 6145R et New Holland un T6.180. Alors que l’agriculteur qui nous accueille vient d’attaquer la moisson des blés, Joskin nous a fourni une benne deux essieux BC150 pour lui prêter main-forte et pour juger du comportement routier des tracteurs. Nous avons également déchaumé une quinzaine d’hectares avec les tracteurs munis de déchaumeurs à dents.
Les engins de nos deux concurrents sont bien équipés. Ils comprennent un accoudoir multifonction, des distributeurs électrohydraulique et une grande cabine à quatre montants. Passons donc en cabine pour comparer l’ergonomie et l’efficacité des transmissions de nos deux protagonistes.
La sélection des gammes
Chez New Holland, la sélection des gammes se fait avec le joystick. Il est nécessaire de débrayer, ou d’appuyer sur le bouton placé derrière celui-ci, en même temps que l’on pousse le levier. Il n’y a pas de repère sur l’accoudoir, il est donc essentiel de regarder l’écran pour savoir dans quelle gamme nous nous trouvons.
Chez John Deere, trois boutons sont placés à côté du joystick. Cependant, ils ne correspondent pas chacun à une gamme. En effet, si les deux premiers servent à sélectionner la gamme A et la B, le dernier affiche l’inscription BC. En le sélectionnant, nous sommes en gamme B, et le passage en gamme C est alors automatisé, selon notre travail. Une led, placée juste à côté de chaque bouton, s’allume lorsqu’on appuie dessus. Cela reste intuitif et ergonomique.
Le passage des rapports
Le passage des rapports sur la Direct Drive de John Deere s’effectue simplement, avec le petit levier. Chez New Holland, il est possible de les passer avec une impulsion sur le levier, ou avec les petits boutons « lièvre » et « tortue », placés sur le joystick. L’écran IntelliView offre un visuel simple et très facilement compréhensible de notre « position » au milieu des vingt-quatre vitesses. Chez John Deere, ces informations s’affichent sur le tableau de bord. Elles sont bien plus discrètes, peut-être un peu trop.
Les différents modes
Ces transmissions ont plusieurs modes de fonctionnement. Comme indiqué auparavant, elles peuvent être commandées en manuel, l’opérateur choisissant en permanence sa gamme et son rapport.
Les deux constructeurs proposent également différents modes automatiques, où la boîte gère partiellement ou totalement les rapports de vitesses. Pour la Direct Drive, le mode Auto est placé directement sur la course du petit levier. Il gère les rapports powershift. Du côté des gammes, à part le bouton BC, il n’y a pas d’autre solution d’automatisation, notamment pour le passage de A à B. Il est possible d’enregistrer des rapports de démarrage pour chaque bouton de sélection de gammes A, B et BC. Pour ce dernier, deux rapports sont alors proposés, un pour chacune des gammes. Il faut choisir un des deux. Il est possible de paramétrer une vitesse maximale pour chaque gamme. Elle s’ajuste avec la molette présente sur le petit levier. Ensuite, nous mettons l’accélérateur à main au maximum, et le tracteur se régule tout seul en fonction de la vitesse.
Chez New Holland, la transmission offre plus de modes, encore faut-il les trouver. Un bouton Auto, placé sur le joystick, donne accès à un mode champs et un mode route, caractérisés par des logos de charrue et de benne sur l’écran.
Le premier automatise la transmission sur les gammes A et B, mais nous sommes bloqués au maximum en B8, limitant le tracteur à un peu moins de 20 km/h. Le second délivre la gamme C, et gère l’intégralité de la transmission. Le tracteur atteint ainsi 40 km/h. Dans les deux cas, il est possible de définir une plage de rapport dans laquelle le tracteur doit travailler. Le constructeur équipe également sa transmission du mode GSM II, comprenez Ground Speed Management. Derrière cet anglicisme se cache une gestion complètement automatisée de la transmission et du régime moteur. À l’écran, le visuel change et se rapproche des transmissions à variation continue de la marque. Il n’est plus question de rapports ou de gammes, mais plutôt de vitesses cibles. Nous pouvons en sélectionner deux différentes, facilement ajustables avec la molette du joystick. Pour atteindre la vitesse cible, il suffit de cliquer sur le bouton Auto. Le dispositif GSM II est composé, lui aussi, d’un mode route et d’un mode champs, mais également d’un mode prise de force. Comme pour le mode Auto, dans la position champs, le tracteur ne pourra évoluer que dans les gammes A et B. En revanche, le mode route permet de travailler sur l’ensemble des gammes de la transmission. Enfin, lorsque nous activons la prise de force, un mode dédié s’enclenche. Il reste à gérer le régime moteur du tracteur, la transmission fait le reste toute seule, toujours selon les vitesses cibles que nous avons enregistrées. Bref, nous voici pratiquement dans un tracteur équipé d’une AutoCommand. Cependant, trouver ce mode n’est pas facile. Il faut en effet appuyer sur Auto, ainsi que sur le bouton placé derrière le joystick pour accéder au dispositif GSM II. Nous voici alors en mode champs. Il faudra faire la même chose, mais avec un double-clic sur Auto, pour arriver au mode route. Nous avons effectué plusieurs tentatives avant de maîtriser la marche à suivre.
Il est également possible d’activer le GSM II depuis le terminal, via le menu de réglage de la transmission. Mais la aussi, ça manque d’intuitivité. On regrette presque un raccourci sur l’accoudoir pour ce dispositif, tellement il est intéressant et complet.
Au transport
Attelés sur la Joskin, chargée d’environ 15 tonnes de blé, nos tracteurs ont réalisé un parcours de 15 km. Il était composé de petites routes, ainsi que d’une belle ligne droite sur une départementale, comprenant une zone de faux plats. Nous avons apprécié le comportement de chaque tracteur, leur confort et l’efficacité des différents modes de transmission.
Coté confort, l’avantage va au John Deere, avec une très bonne suspension de cabine. L’automatisme de transmission s’est révélé réactif, mais aussi cohérent avec l’effort demandé, en passant parfois les rapports à plus de 2 000 tr/min. La partie de faux plats a été franchie à 23,9 km/h en vitesses C4. Notre 6R propose un frein moteur intéressant, en gérant les rapports en conséquence. Le frein du tracteur étant très sensible, il a fallu faire preuve de souplesse.
Au tour de notre T6 maintenant, qui possède un frein beaucoup moins sensible. La cabine est un peu moins confortable que celle de son concurrent du jour, mais reste plus qu’acceptable. La transmission est également bien réactive, sans à-coups. Le tracteur s’affranchit du faux plat à une vitesse de 22,3 km/h, un peu moins vite que le 6R, mais également en C4. Le frein moteur peut être renforcé avec une pédale agissant sur l’échappement. Ce système est intéressant lors des phases de décélération.
Aux champs
Nous avons ensuite attelé un déchaumeur à trois rangés de dents de 3,5 mètres de largeur de travail sur chacun de nos tracteurs. Direction une parcelle de pois récoltée la semaine précédente, afin de déchaumer une trentaine d’hectares. Pour les deux compétiteurs, nous recherchons, une fois de plus, l’efficacité des automatismes de boîte. Nous paramétrons nos vitesses de croisière, autour à 8 km/h, en butée haute pour le 6R, et avec le GSM II pour le T6. Il faut avouer que, malgré un mode Auto satisfaisant, nous avons préféré le dispositif GSM II.
Difficile de différencier ces deux boîtes en termes de confort. Les rapports sous charges se font rapidement oublier et l’automatisme fait le reste. Cependant, une nouvelle fois, le dispositif GSM II se démarque. En effet, le joystick agit comme pour la transmission Auto Command. Il ne gère plus les rapports, mais permet d’ajuster la vitesse avec des impulsions, ce qui est plutôt pratique pour les manœuvres de bout de champs. De plus, un simple clic suffit pour repartir à la vitesse cible.
Conclusion
Chez les deux constructeurs, l’ergonomie de conduite et de paramétrage de la transmission sont très proches de celles proposées pour leurs solutions respectives de variation continue. Ces transmissions, que nous avons eu du mal à départager en confort et réactivité, sont toutefois différentes à conduire. Les adeptes de chacune des marques s’y retrouveront facilement. Les néophytes des deux constructeurs auront un peu plus de mal. La solution à double embrayage a fait ses preuves dans nos différentes activités. Elle saura ravir les aficionados des transmissions powershift, friands de gérer les rapports et les gammes eux-mêmes, tout comme les personnes habituées à des transmissions à variation continue.
Pierre Peeters