La situation macroéconomique et l’offre de la mer Noire compriment les prix du blé, même si les inquiétudes sur les volumes qui vont être récoltés en Argentine commencent à monter. Le renouvellement du corridor ukrainien est toujours incertain, et les perspectives sont plutôt baissières en soja avec la fin de la récolte aux États-Unis.
La chute des prix du blé s’est accentuée
La semaine a été marquée par de nouveaux événements macroéconomiques pouvant affecter la demande des céréales à la baisse. La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé jeudi 27 octobre 2022 une remontée de 0,75 point de base de ses taux directeurs pour lutter contre l’inflation qui se rapproche des 10 % en moyenne dans la zone euro. Par ailleurs, la faiblesse générale des marchés financiers (en lien avec des prévisions de revenus en baisse pour plusieurs grandes entreprises du secteur technologique) et de nouveaux cas de Covid et de confinement en Chine ont entretenu une ambiance morose pour le prix mondial du blé.
Sur le plan climatique, de mardi 25 à jeudi 27 octobre, des pluies importantes sont arrivées en Argentine, apaisant quelque peu les esprits. En effet, jusqu’à maintenant, la récolte de blé argentine était continuellement revue en baisse, semaine après semaine, après la sécheresse de l’été. Cette semaine, la Bourse de Rosario l’a descendue à 13,7 millions de tonnes (contre 22,1 millions de tonnes l’an passé). La bourse de Buenos Aires, elle, l’a laissée stable à 15,2 millions de tonnes, probablement pour refléter les pluies récentes. Ces dernières représentent donc un élément baissier cette semaine. Il convient toutefois de ne pas perdre de vue qu’avec une forte chute de sa récolte (même si le niveau n’est pas aussi dramatique qu’avant les pluies), l’Argentine ne pourra sans doute pas exporter ce qui était prévu, reportant alors sa demande sur d’autres origines. Des rumeurs s’élèvent maintenant concernant de possibles limitations des exportations par le gouvernement argentin.
Pression de la mer Noire
Du côté de la mer Noire, c’est toujours une ambiance électrique qui prévaut : la Russie continue de menacer de ne pas accepter le renouvellement du corridor si les sanctions internationales à son encontre ne sont pas amendées de sorte à lui permettre d’exporter plus de grains et de fertilisants. Les négociations se poursuivent et il est difficile d’en prévoir l’issue. Cette incertitude est de nature haussière mais pour l’instant, c’est la très forte compétitivité des blés de la mer Noire, russes notamment, par rapport aux blés de l’Union européenne qui l'emporte. Le blé russe à 12,5 % de protéine vaut 30 $/t de moins que le blé français Fob Rouen et le blé à 11,5 % vaut 40 $/t de moins.
Même si les exportations russes ne sont pas aussi dynamiques qu’en situation normale, l’ampleur de cette disponibilité russe à bas prix continue de compresser les autres origines. Les blés russes semblent être les favoris actuellement pour répondre à l’appel d’offres en cours de 500 000 tonnes lancé par le Pakistan.
L’activité n’a pas manqué sur le marché mondial ces derniers jours : l’Algérie vient de son côté d’acheter 80 000 tonnes de blé, l’Arabie 566 000 tonnes et la Turquie 470 000 tonnes. Toutefois, à cause de la montée du dollar, plusieurs gros pays importateurs, comme l’Égypte par exemple, s’inquiètent et risquent de devoir réduire leurs achats pour raisons financières.
Dans ce contexte, les prix français ont de nouveau perdu du terrain, abandonnant 2,5 €/t à 337,25 €/t rendu Rouen (base juillet) et entre 6 et 7 €/t sur le Matif pour le contrat décembre entre aujourd’hui en milieu de journée et la clôture de vendredi 21 octobre.
Légère remontée du prix de l’orge fourragère
Après une baisse au cours de la semaine dernière, les prix de l’orge fourragère sur le marché français ont enregistré une hausse en début de semaine, puis un retrait en milieu de semaine pour terminer à un niveau rendu Rouen supérieur de 2,5 €/t à celui de vendredi dernier, à 297 €/t (base juillet).
La hausse des prix en début de semaine a été essentiellement due au léger regain de l’intérêt pour l’orge sur le marché intérieur et européen en raison d’une meilleure compétitivité dans les rations. Des chargements à destination des Pays-Bas et de l’Espagne ont été ainsi enregistrés dans les ports français cette semaine. La hausse s’explique aussi par les inquiétudes concernant la récolte argentine, réduite en partie par la sécheresse.
En revanche, le maintien des orges tricolores sous la barre des 300 €/t s’explique par leur faible compétitivité à l’export face aux origines russes en particulier. En effet, le prix des orges russes, qui demeurent les moins chères aujourd’hui sur le marché, est resté stable depuis vendredi dernier, à 282 $/t au 27 octobre, tandis que celui des origines australiennes a évolué à la légère baisse (-1 $/t à 284 $/t). Par ailleurs, les exportations des orges canadiennes montent en puissance, et ces dernières continuent à regagner des parts de marché au détriment des origines françaises.
La demande reste toujours restreinte dans un contexte économique et géopolitique incertain. On note néanmoins un nouvel appel d’offres de la Jordanie du 26 octobre pour l’achat de 120 000 tonnes d’orge.
Les prix brassicoles n’ont pas beaucoup varié : pour les variétés d’hiver, ils sont revenus au niveau de vendredi dernier, à 331 €/t Fob Creil tandis que le prix des orges de printemps a reculé légèrement (-2€/t à 360 €/t Fob Creil de printemps). L’arrivée de l’offre canadienne semble pour le moment suffisante pour maintenir le marché en équilibre. Les volumes récoltés dans l’hémisphère sud seront toutefois à surveiller dans les prochaines semaines car ils seront déterminants pour l'évolution des prix (quantités récoltées en Argentine et qualité en Australie où il pleut beaucoup).
Les prix des maïs français en très légère hausse sur une semaine
Le maïs Fob Bordeaux a augmenté de 3 €/t, à 343 €/t (base juillet, récolte 2022). Le prix Fob Rhin a légèrement augmenté, de 1 €/t à 337 €/t (base juillet, récolte 2022). Les disponibilités en maïs français pour l’exportation sont réduites pour cette campagne en raison d’une récolte 2022 catastrophique en France (moins de 10 millions de tonnes). Les prix des maïs français restent donc très élevés, car moins compétitifs sur la scène internationale que les autres origines.
Aux États-Unis, le bas niveau des eaux du Mississippi limite les quantités de maïs pouvant être transportées par voie fluviale vers le golfe du Mexique. Un retour à la normale n’est pas prévu avant plusieurs semaines. En conséquence, les prix FOB US ont fortement augmenté sur une semaine (principalement la prime FOB). La récolte aux États-Unis est dans le même temps bien avancée et réalisée à hauteur de 61 %.
En Ukraine, les exportations de maïs totalisent 1,33 million de tonnes entre le 1er et le 21 octobre selon les statistiques douanières, confirmant un ralentissement par rapport à la même période au mois de septembre. Le maintien du corridor reste au cœur des discussions avec des rumeurs divergentes quant à sa prolongation après le 19 novembre.
En Argentine, les semis de la première récolte sont en retrait par rapport à l’an dernier et les récentes pluies n’ont guère amélioré les conditions de cultures des premiers semis : seulement 10 % des maïs sont jugés « bons à excellents ». Ces différents facteurs ont donc maintenu les prix à des niveaux très élevés. À l’inverse, les exportations de maïs brésiliens ont poursuivi leur cadence élevée avec 5,9 millions de tonnes exportées sur les trois premières semaines d’octobre, offrant des volumes conséquents au marché mondial. Dans le même temps, le début de cycle de la première récolte au Brésil se passe dans des conditions correctes.
Petit rebond des cours du colza
Malgré un environnement mondial plutôt baissier, les cours du pétrole et la forte demande des triturateurs canadiens ont soutenu les cours du colza français cette semaine.
D’une part, le prix du pétrole a rebondi de presque 4 % cette semaine, soutenu par une demande dynamique des États-Unis et de la Chine, ainsi que par la baisse des volumes produits attendue sur le mois de novembre dans les pays de l’Opep+ (Organisation des pays exportateurs de pétrole). L’huile de colza Fob Rotterdam a notamment été impactée, et a vu son prix augmenter de 2,2 % cette semaine à 1375 $/t.
Toutefois, les larges volumes disponibles en colza dans l’Union européenne, la fin des récoltes de canola au Canada, et les très bonnes perspectives pour la production australienne ont empêché le prix de la graine de suivre complètement celui de son huile. Le colza n’augmente ainsi que de 4 €/t en rendu Rouen et en Fob Moselle, à respectivement 632 €/t et 646 €/t (au 27 octobre).
Les prix du canola canadien ont progressé plus franchement sur le rapproché (+19 $/t à Vancouver) en raison d’achats massifs des industriels du pays. Ils profitent de marges historiquement élevées, soutenues par une huile de canola très chère, fortement demandée pour la production de biodiesel renouvelable sur le marché américain. Les prix canadiens sont aussi soutenus par le fait que les rendements au Saskatchewan sont un peu décevants, et que la production canadienne attendue en 2022 ait été revue en légère baisse. Elle est toutefois estimée à plus de 19 millions de tonnes, un niveau très correct.
Petit recul du soja
Alors que la récolte américaine s’approche de la fin, à la faveur d’un temps favorable, les offres sur le marché américain affluent, et les prix du soja américain marquent le pas. Ils perdent 3 $/t sur le rapproché et sur janvier 2023. Ce recul est toutefois relativement modéré. Il a notamment été contenu par le rebond du prix de l’huile de soja sur la semaine (elle-même tirée par le pétrole), mais aussi par une forte demande des acheteurs chinois.
À la suite d’une amélioration des marges de trituration du soja sur les dernières semaines, en raison d’une accélération des achats de tourteau de soja par les éleveurs porcins, les industriels chinois couvrent leurs approvisionnements. Ils se tournent à la fois vers l’origine américaine et vers l’origine brésilienne, ces dernières étant équivalentes en termes d’attractivité. Ainsi, le prix du soja Fob Brésil a augmenté de 4 $/t sur le rapproché cette semaine, et de 2,5 $/t sur mars 2023.
Au Brésil, les semis de soja progressent bien, avec près de 35 % des intentions de semis réalisées à l’échelle nationale. La grosse région productrice du Mato Grosso bénéficie de très bonnes conditions (bonnes précipitations en alternance avec du temps sec) et près de 2/3 des surfaces y sont déjà ensemencées. La surface de la fève devrait progresser de plus de 3 % cette année chez le géant sud-américain, ce qui devrait induire une offre mondiale abondante sur l’année 2023.
Le tourteau de soja en repli
Le tourteau de soja à Montoir voit son prix diminuer de 8 €/t sur la semaine, à 561 €/t, et retrouve son niveau du mois dernier. Le tourteau de soja est toujours bien placé en termes d’attractivité dans les rations animales. Néanmoins, la demande animale est en baisse dans l’Union Européenne, ce qui pèse sur les volumes consommés.
En effet, les productions d’aliments composés pour les filières porcines, volailles et bovines sont attendues en baisse, en raison de la diminution de la consommation intérieure. Les Européens réduisent leur consommation de produits carnés et laitiers en raison d’une forte inflation. La production d’aliments porcins pâtit aussi d’une faible demande chinoise en viande porcine, l’Empire du milieu étant bien approvisionné avec la viande issue de ses propres cheptels.
Sur le marché mondial, les prix du tourteau de soja ont au contraire légèrement augmenté (+2 $/t à Chicago sur le rapproché, +2,5 $/t en Fob Argentine) à la suite des cours du soja, et surtout en raison d’une bonne demande en tourteau de soja des filières animales chinoises.
Tournesol : petite baisse des prix français
Malgré la hausse du cours de l’huile de tournesol (+70 $/t Fob Rotterdam) en raison d’une bonne demande en huile sur le marché intérieur et à l’exportation, les prix de la graine de tournesol sont en léger repli cette semaine. En effet, les récoltes de tournesol en Ukraine et Russie étaient très en retard jusque-là, mais ont pu progresser de façon assez dynamique sur les derniers jours.
Même si les tournesols russes ont probablement perdu en volumes et qualité en raison de précipitations excessives juste avant les moissons, la production reste toujours prévue à un niveau très élevé.
Pour les prochains mois, le marché européen est bien approvisionné. Les triturateurs sont déjà bien couverts, et la demande est un peu moins active, ce qui pèse également sur le prix du tournesol. Le prix à Saint-Nazaire a ainsi reculé de 2,5 €/t cette semaine, que ce soit pour la qualité standard ou la qualité oléique.
À suivre : avancée des discussions diplomatiques autour du corridor d’exportation de l’Ukraine, qualité des céréales australiennes, volumes récoltés en Argentine en blé et orge, conditions climatiques au Brésil (semis de soja), récolte de canola en Australie, avancée des récoltes de tournesol en mer Noire, prix du pétrole, situation sanitaire en Chine, contexte économique mondial.