En décembre et janvier, les frontières étaient fermées pour les ressortissants extra-européens. Mais 155 travailleurs saisonniers venus du Maroc ont mis les pieds sur la piste de l’aéroport de Marignane à Marseille (Bouches-du-Rhône) pour aller travailler dans les exploitations agricoles du département. C’est un des rares départements à avoir réalisé cette performance en plein renforcement des contraintes sanitaires liées au Covid-19. Comment cela a-t-il été possible ?
Les agriculteurs demandaient des travailleurs pour la récolte des salades d’hiver mais aussi pour préparer les vergers ou la saison des légumes, ou mettre en place les cultures sous serres. Mais les travailleurs saisonniers habituels, expérimentés dans ces domaines de compétences, ne pouvaient pas mettre les pieds en Europe. Pour résoudre ce problème, les exploitants avaient besoin de lever trois obstacles : obtenir le soutien des administrations des deux côtés de la Méditerranée, garantir la protection sanitaire de chacun, s’organiser pour payer le voyage.
Parler avec l’Administration
Les salariés qu’ils ont l’habitude d’embaucher habitent dans la région de Casablanca, au Maroc. Mais en septembre, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) de la ville ferme ses portes sous la contrainte sanitaire liée à la pandémie du Covid. Les agriculteurs provençaux perdent leurs interlocuteurs. Toutefois, dans les Bouches-du-Rhône, la préfecture prête son oreille aux revendications des employeurs agricoles.
« Nous travaillons régulièrement avec la préfecture. Par exemple, tous les ans en mai depuis six ans, la préfecture organise une rencontre pour évaluer les besoins prévisionnels de main-d’œuvre agricole, avec les agriculteurs et Pôle Emploi. Nous établissons déjà une bonne collaboration. De plus, cette année, le secrétaire général a été particulièrement efficace et ouvert à nos demandes », raconte Patrice Vulpian, producteur d’abricots à Saint-Martin-de-Crau et secrétaire général de la FDSEA.
Le secrétaire général de la préfecture organise une réunion téléphonique avec les agriculteurs, la direction régionale du travail, l’Agence régionale de santé et l’Ofii de Casablanca. « L’Administration était vraiment dans un état d’esprit pour chercher une solution », témoigne Patrice Vulpian. L’enjeu était alors d’établir rapidement des visas pour les saisonniers marocains.
En effet, la diminution à deux ans, au lieu de trois auparavant, de la validité des cartes de séjour place ces travailleurs dans l’impossibilité de venir en France lorsque leur carte est expirée. Ils doivent donc présenter des visas liés à leur contrat de travail. Mais, pour les établir, il faut encore que les administrations soient ouvertes. C’est là que le consulat de Casablanca montre qu’il a bien compris la demande des agriculteurs français : il valide les visas pour 155 travailleurs en décembre et janvier.
Établir un protocole sanitaire
Encore fallait-il qu’ils puissent circuler en toute sécurité sanitaire. Pour cela, les agriculteurs employeurs établissent un protocole sanitaire. Dans ce domaine, l’expérience de la première vague du coronavirus les a aguerris. Durant l’été 2020, le département connaît des clusters chez les saisonniers agricoles employés sous le régime du détachement. L’Administration a mis la pression sur tous les exploitants. Ils établissent alors des protocoles de tests massifs et d’isolement.
Fort de cette expérience, ils répondent aux demandes de l’ARS avec des plans concrets d’accueil des saisonniers. Ces derniers passent un test PCR, organisé par l’Ofii de Casablanca, 72 heures avant l’embarquement au Maroc. À l’arrivée à Marseille, ils repassent un test rapide. « Sur les 155 travailleurs embauchés en décembre, un seul s’est révélé positif à ce stade. Il a été isolé immédiatement sur l’exploitation, puis il a pu travailler après cette période d’isolement », précise Patrice Vulpian.
Les agriculteurs employeurs viennent à l’aéroport et conduisent les saisonniers sur leurs exploitations en respectant les distances sociales dans les véhicules. Enfin, les saisonniers repassent un test PCR sept jours après leur arrivée. « Ce protocole sanitaire a été monté avec l’ARS et la direction du travail », ajoute Patrice Vulpian. Il a aussi permis aux agriculteurs du département voisin du Vaucluse d’obtenir une dérogation similaire.
S’organiser collectivement
En février, trois cents autres travailleurs sont attendus grâce à trois vols commerciaux. Les agriculteurs des Bouches-du-Rhône ont choisi cette solution alors que ceux de Corse ont préféré des vols charters spécifiques. Cette solution, assez onéreuse, avait aussi été choisie par les agriculteurs anglais au printemps.
Dans les Bouches-du-Rhône, les employeurs délèguent à leur syndicat FDSEA, l’organisation des contacts administratifs et la réservation des vols. En revanche, ce sont bien les employeurs qui prennent en charge le coût du déplacement. La FDSEA les avertit par SMS trois jours avant le trajet pour qu’ils payent le billet.
En temps normal, les agriculteurs du département emploient 2 700 saisonniers en contrat Ofii par an. S’y ajoutent les travailleurs détachés et les étrangers intra-européens. Ils espèrent que ce premier galop d’essai de janvier a été le moyen d’établir un processus qui entrera dans la routine dans les mois prochains, même si le Premier ministre Jean Castex a annoncé la fermeture des frontières le 29 janvier 2021, parce qu’ils ne voient pas comment combler le manque de compétences si les frontières devaient être durablement fermées aux saisonniers expérimentés.
Éric Young