« Le temps du salon, plus de deux cents fermes auront disparu. » C’est le constat dressé par le Collectif Nourrir (1), lors du Salon international de l’agriculture à Paris, le 27 février 2023. Pour l’occasion, les 52 organisations membres du collectif publient un manifeste, intitulé « un million de paysans pour 2050 ». Ils misent sur l’installation massive de paysans et de paysannes d’ici à 30 ans pour réussir le virage de la transition agroécologique et rendre la France souveraine dans son alimentation.
Partager le capital à transmettre
« Aucune ferme ne doit disparaître », c’est l’une des mesures phares du manifeste. Actuellement, la tendance est à la chute du nombre d’exploitation. Les fermes restantes n’ont pas d’autre choix que de s’agrandir et de se spécialiser, alerte le collectif. Le Collectif Nourrir propose de changer de modèle et préconise d’accompagner les cessions et de partager le capital à transmettre entre plusieurs repreneurs pour favoriser la création de plusieurs petites exploitations, favorables à l’emploi. « Pousser à la rencontre entre le cédant et le repreneur est une solution », suggère Clotilde Bato, coprésidente du collectif et déléguée générale de l’association Sol (alternatives agroécologiques et solidaires).
Le collectif appelle aussi à la diversification pour toutes les fermes, les nouvelles comme celles déjà installées. À la clé, davantage d’actifs sur l’exploitation. C’est un modèle dégageant « un revenu confortable », « moins dépendant de la fluctuation des marchés, ou du prix de vente des produits avec des ateliers complémentaires », estime Clothilde Bato.
Ouvrir l’accès aux formations
Les membres du collectif s’inquiètent des difficultés que rencontrent les futurs et nouveaux installés. En particulier, les « Nima (non issus du monde agricole), qui représentent 50 % des installations ». Portage de foncier, financements, soutien des agriculteurs voisins… Nombre de sujets font obstacle à une reprise réussie. À tel point que « presque un tiers des installés abandonnent », déplorent Clotilde Bato. Pour y faire face, le manifeste recommande d’ouvrir plus largement l’accès aux formations et de le rendre plus accessible à des profils plus variés, pour consolider les reprises.
Florent Sebban, administrateur du réseau Amap Île-de-France, a pointé du doigt les divergences entre les attentes des citoyens et les décisions des Safer. Selon lui, l’organisme manque de transparence et de démocratie et favorise les agrandissements. « Il faut ouvrir ces instances », suggère-t-il.
Soutenir l’agriculture durable
Pour garantir une production suffisante pour nourrir la France sur le long terme, le manifeste soutient les emplois agricoles adaptés à l’agroécologie. « Pas de souveraineté alimentaire sans transition agroécologique », clame Cyrielle Denhartigh, responsable de l'agriculture et l'alimentation pour le Réseau Action Climat. Plantation de haies, élevage à l’air libre, multiplication des pâturages, alternatives aux intrants… Les pratiques durables sont nombreuses et doivent toutes être soutenues financièrement, estime-t-elle. Elle espère, par exemple, que la Pac pourra intégrer prochainement une aide couplée à l’élevage bovin qui pâture, selon elle compatible avec les objectifs européens de durabilité.
« Il va bien falloir passer par une baisse du cheptel », se risque à dire Cyrielle Denhartigh. En revanche, elle promeut le basculement de l’agriculture à un modèle agricole extensif, moins émetteur de gaz à effet de serre et moins gourmand en intrants importés, avec des productions de meilleure qualité et plus rémunératrices. Pour y parvenir, « le cap politique doit être très clair : soutenir l’agriculture durable », soutient Clotilde Bato et mieux accompagner les porteurs de projet notamment dans l’accès au foncier.
Mieux communiquer sur le monde paysan
Le manifeste encourage l’ouverture du monde agricole au grand public. L’objectif : rendre attractif le métier d’agriculteur et ouvrir la porte aux embauches. Sur la question du temps de travail et des congés, les médias pourraient relayer des exemples d’exploitations à plusieurs associés, pour lesquelles l’organisation est facilitée, détaille Clotilde Bato. Le Collectif Nourrir considère qu’il faut améliorer l’image des agriculteurs, tout au long de la scolarité, avec des visites de fermes ou des stages dès le plus jeune âge.
La révolution agricole passe aussi par l’assiette, conclut le collectif. Apprendre à mieux consommer, c’est un gage de survie en amont de la chaîne. « À titre individuel, on peut fournir des efforts. Mais en réalité, la responsabilité est ailleurs : les politiques publiques doivent accompagner la transition alimentaire », juge Cyrielle Denhartigh.
Le Collectif Nourrir espère que sa feuille de route fournira matière à réflexion lors des débats sur la loi d’orientation agricole, dès les concertations et jusqu’aux débats parlementaires.
(1) Le collectif regroupe des organisations paysannes, dont notamment la Confédération paysanne, la Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab) ou le réseau Civam, des organisations de protection de l’environnement et du bien-être animal comme Greenpeace, des organisations de solidarité internationale et des organisations citoyennes comme Générations Futures.