Au volant de son tracteur ou les pieds dans sa salle de traite, difficile parfois de deviner ce qu’attend la société pour son alimentation et ce qu’elle pense de son agriculture. Pour en savoir un peu plus, La Coopération Agricole avait commandé une enquête audiovisuelle auprès de jeunes citoyens sans lien avec le monde agricole. Des interviews en vidéo ont servi d’introduction à cinq débats que l’organisation a tenus dans cinq villes. Le troisième s’est déroulé à Barenton-Bugny près de Laon le 6 février 2023. Une centaine de personnes, jeunes agriculteurs, lycéens agricoles et citoyens de tout âge s’y sont réunis.

Les produits locaux plébiscités

Manger local est largement ressorti comme la première des priorités. Et les participants au débat ne manquent parfois pas d’inventivité pour identifier les chemins pour y arriver. Regrettant qu’il soit « compliqué de trouver des aliments locaux notamment dans la grande distribution », mais qu’il est plus facile de trouver des produits « qui viennent de l’étranger ou du sud de la France ». Léo, jeune cuisiniste dans l’Aisne, plaide en faveur d’une diversification des cultures, quitte à rogner sur les surfaces céréalières de son département. « À chaque région de produire les céréales dont elle a besoin », propose-t-il.

© Alexis Marcotte - Au micro, Christian demande une politique favorisant l'installation de microfermes et de maraichage.

« On veut quelque chose de pas trop cher à côté de chez nous », résume une mère de famille de trois enfants, qui souhaite de son côté que ce « soit plus simple pour les producteurs de vendre sur leur territoire ». Les microfermes et le maraîchage ont aussi largement été évoqués lors des débats. C’est la voie que défend Christian, béret sur la tête et se présentant comme un simple « citoyen ». « Chez nous à Crécy-sur-Serre, nous avons un maraîcher chez lequel nous nous approvisionnons toutes les semaines. Il est en bio et ses produits ne sont pas chers, sauf qu’il a 65 ans et qu’il va cesser son activité. Il va falloir légiférer pour remettre des microfermes et du maraîchage dans nos campagnes, c’est primordial », réclame-t-il.

La grande distribution pointée du doigt

Face à une publicité omniprésente qui pousse à consommer des produits dont ils ne veulent pas et une grande distribution qui prend des « marges abominables », c’est une société de consommation au système productiviste et capitaliste qui est décrite et critiquée. Si le politique peut jouer un rôle pour changer les choses, selon les participants aux débats, c’est surtout le consommateur qui détient la solution.

C’est le constat dressé par Anatole, jeune animateur au Centre d’information jeunesse de l’Aisne : « Toute la problématique relève du système économique qui pousse à l’intensif. Nous sommes consommateurs. Il faut consommer mieux avec l’agriculteur du coin. »

Ce qui n’est pas la position de Martin, étudiant, qui n’hésite pas à défendre ce qu’il appelle des « grosses exploitations » en prenant l’exemple de la ferme des 1 000 vaches : « Elle répondait à un besoin de nourrir une population toujours plus nombreuse dans le monde. Il ne faut pas blâmer ce type d’exploitation. » Isabelle, se présentant comme « secrétaire dans une petite commune », estime que la solution se trouve aussi dans l’éducation : « Il est important de donner l’envie aux enfants en maternelle et primaire de manger des légumes. Certains ne savent pas ce que sont une carotte et une pomme de terre. »

« Arrêter d’opposer les systèmes »

Le débat avançant, des jeunes en formation dans l’enseignement agricole, ou tout récemment installés sur des exploitations, ont tenu à rappeler certaines réalités. « Il faudrait que les industries soient transparentes avec les consommateurs. On enjolive toujours les choses. En agriculture biologique, des produits phytosanitaires sont aussi utilisés », explique Élodie en terminale STAV (sciences et technologies de l’agronomie et du vivant).

© Alexis Marcotte - « Il faudrait que les industries soient transparentes avec les consommateurs », explique Élodie en terminale STAV

« Il faut arrêter d’opposer les systèmes agricoles. L’agriculture intensive répond à des besoins. Tout le monde n’a pas forcément le temps de se déplacer chez les agriculteurs pour aller chercher ses produits », estime de son côté Paul, 30 ans et se présentant comme un agriculteur en devenir. Il a tenu aussi à répondre aux citoyens qui sont intervenus dans le débat pour réclamer un retour aux pratiques agricoles des décennies précédentes. « On nous demande de mettre un pied en avant tout en revenant aux pratiques en arrière, c’est contradictoire. Nous n’utilisons pas les produits phytosanitaires par plaisir. C’est pour soigner nos plantes », argue-t-il.

Le besoin de mieux communiquer

Les citoyens et les jeunes agriculteurs présents se sont rejoints sur le manque de communication autour de l’agriculture. « J’avoue que nous ne faisons pas beaucoup d’effort pour commercialiser avec mon père, témoigne Victor, jeune agriculteur installé depuis un an sur un élevage de bovins et de porcs. Nous pourrions faire des partenariats avec des bouchers, filmer des vidéos pour expliquer comment nous élevons nos animaux. Je voudrais créer plus de liens, mais nous sommes déjà bien occupés sur nos exploitations. »

Clôturant les débats, Dominique Chargé, le président de La Coopération Agricole, a déclaré avoir retenu les messages exprimés dans une synthèse qui sera transmise au ministère de l’Agriculture dans le cadre des débats de la future loi d’orientation et d’agriculture attendue en juin. Une synthèse qui doit aussi alimenter la réflexion des coopératives dans leur fonctionnement futur, selon lui.