En 2016, Olivier Fradet, polyculteur-éleveur à Cluis, dans l’Indre, sent que son système s’essouffle. Sa rotation à base de céréales, blé-triticale-méteil-maïs, montre ses limites : maladies foliaires et salissement, avec ray-grass et vulpin résistants. Il n’y intègre pas ou peu les prairies, contraint par son sol argileux, hydromorphe et pierreux, difficile à travailler.

Il s’engage alors dans un groupe Dephy, animé par l’Adar (1), qui compte une douzaine d’agriculteurs. Ensemble, ils réfléchissent à leurs pratiques, visitent des exploitations, rencontrent des experts, se nourrissent de l’expérience des autres. Un excellent moyen de prendre du recul. « J’aimais la critique constructive entre nous, raconte Olivier. On a vite compris que la diminution des phytos n’était pas un objectif, mais une conséquence. Dès 2017, chacun a commencé à faire des expériences sur son exploitation. »

Introduction de l’épeautre

Il cesse le méteil au profit de l’épeautre, une céréale « pratique ». « Elle a un bon intérêt nutritif et permet de réduire le temps de travail. Elle est donnée entière aux animaux, il n’y a pas besoin de l’écraser, et elle se stocke à plat », décrit-il. La ration hivernale de ses bovins se compose désormais d’ensilage d’herbe et d’épeautre. Il arrête le maïs, qui n’a plus sa place dans leur alimentation. « Il était difficile à implanter sur mes terres, qui ont du mal à se réchauffer, et aussi à cultiver avec les sécheresses successives qu’on a connues », révèle-t-il. Le triticale, auparavant destiné aux animaux, devient une culture de vente.

Certaines rencontres le marquent. Un intervenant, venu de Normandie, le convainc par exemple d’arrêter les désherbages de rattrapage au printemps. « Il nous a expliqué qu’en mars, quand une dicotylédone fleurit, le mal est déjà fait. Et lorsqu’une graminée dépasse le stade trois feuilles, l’efficacité du désherbage est limitée. »

Le témoignage d’un agriculteur de la Creuse l’interpelle. « Pour rentrer dans ses frais, il devait récolter 30 q/ha », se rappelle Olivier. Il adopte cette nouvelle philosophie : plutôt que de chercher le rendement, il vise la marge. « Jusqu’à présent, le commercial nous donnait ce qu’il fallait pour espérer obtenir 70 q/ha. Dorénavant, j’engage des frais pour 50 à 60 q/ha seulement. Je suis plus résilient. »

Il découvre également l’intérêt d’investir dans les prairies. Fini, le ray-grass d’Italie facile à implanter. Les prairies deviennent multi-espèces, avec plusieurs graminées, du trèfle, du plantain… « C’est ce qui m’a permis de simplifier la ration. Je n’ai plus besoin de complément azoté, l’ensilage d’herbe peut être con­sidéré­ comme un élément complet, donc moins coûteux. »

L’exploitant a pour objectif de limiter le travail du sol, d’en améliorer la structure et la vie, lui donnant la possibilité d’intégrer des prairies dans sa rotation. En 2019, il achète un semoir à semis direct avec trois autres adhérents. « J’y réfléchissais déjà avant, mais c’est plus facile de se lancer à plusieurs que seul. Le semis direct est un avantage pour cultiver les parcelles pierreuses. » Il décide de ne plus utiliser ni fongicides, ni insecticides, auxquels il avait de toute façon peu recours, pour protéger la vie des sols. « Ma rotation me le permet, nuance-t-il. Je ne fais pas de colza ou de pois. »

Améliorer la qualité des sols

Pour Olivier, l’équilibre de ses sols est primordial et lié à leur fertilité. Les prairies et le fumier sont des atouts, qu’il complète avec deux apports de 35 unités d’azote minéral sur blé et triticale. Il espère se passer du deuxième à l’avenir. « Les analyses montrent que mes sols sont riches en azote, mais, pour l’instant, ils ne sont pas “réveillés”, à cause de l’hydromorphie. Ils doivent se réchauffer à 12 °C pour relâcher les éléments. Pour cela, il faut améliorer la vie biologique, en apportant régulièrement de la matière organique. »

Sa réflexion sur son système est encore en cours. Prochain objectif : travailler sur les couverts d’interculture. Il s’est, d’ailleurs, réengagé pour cinq ans dans le groupe Dephy, qui travaillera sur cette thématique. Justine Papin

(1) Association pour le développement agricole et rural.