L’agriculture française va sans doute payer cher d’avoir un dispositif de couverture bâtard face aux aléas climatiques, même si des mesures « pompiers » se dessinent. Une énième mission, confiée au député LREM Frédéric Descrozaille afin de réformer l’assurance-récolte, et un rapport du CGAER sur le dépoussiérage du fonds des calamités étaient certes presque achevés. Mais le gel historique qui vient de survenir leur a coupé l’herbe sous le pied. Vignobles, arboriculture, grandes cultures : beaucoup de monde a été touché, avec des pertes de récolte allant jusqu’à 100 % et des ressemis à faire (lire page 16). Cela va probablement se compter en milliards d’euros, selon de premières estimations syndicales.

Les gouvernements successifs, dont celui en place, ayant beaucoup trop tergiversé sur cette question, il faut aujourd’hui parer au plus pressé et envisager d’immenses rustines. « Vu l’ampleur des dégâts », le ministre de l’Agriculture a promis d’aller au-delà du seul dispositif des calamités agricoles (FNGRA) avec la création d’un « fonds exceptionnel qui vienne compenser les pertes de revenu ». Une reconnaissance implicite des manquements actuels.

La réalité, c’est que beaucoup d’agriculteurs ne sont pas assurés à titre individuel. Et quand on ne l’est pas dans le secteur des grandes cultures et de la viticulture (environ 70 % des surfaces non couvertes), on ne peut pas de toute façon prétendre aux calamités agricoles. Il y a quelques années, ces deux secteurs ont en effet été exclus sous la pression de Bercy, considérant que dès lors qu’une offre privée de couverture existait et qu’une certaine proportion de la sole était assurée, il fallait les sortir du FNGRA. Or, force est de constater que cette offre jugée trop chère et/ou pas assez protectrice n’a pas trouvé son public. Bercy a aussi été à la manœuvre pour empêcher que la France se saisisse des possibilités offertes par le règlement européen Omnibus, permettant d’abaisser de 30 % à 20 % de pertes le seuil de déclenchement de l’assurance-récolte et de porter la subvention à 70 % au lieu de 65 %.

Le Premier ministre a promis des « enveloppes exceptionnelles » aux sinistrés et pour commencer un déplafonnement du FNGRA. Mais outre la somme globale qui sera finalement débloquée, les dégrèvements de taxe foncière et les reports/exonérations de cotisations sociales envisagés, les facilités pour le chômage partiel, se posent tout un tas de questions essentielles : quelles conditions d’accès au fonds exceptionnel ? Quel acompte pour soulager les trésoreries, en attendant que des expertises calamités toujours très longues soient effectuées ? Quid du taux d’indemnisation des pertes via le FNGRA (40-45 % à titre dérogatoire comme vu dans le passé) ?

Face à ce coup de bambou terrible, le monde agricole ne comprendrait pas qu’à l’heure du retour en grâce de la souveraineté alimentaire, la solidarité nationale ne s’exprime pas correctement vis-à-vis d’un secteur qui à l’occasion de la crise du Covid-19 a répondu présent…