Quel est votre lien aux thématiques de l’eau ?

Je suis fils d’agriculteurs du nord de la France en polyculture-élevage. J’habite dans le département des Deux-Sèvres, siège d’une véritable guerre de l’eau. Je ne suis pas agriculteur, mais j’ai une poignée d’hectares de terrain qui sont pour moi un territoire d’observation et d’expérimentation autour des liens entre le climat, l’eau, le sol et la biodiversité. En outre, ma carrière passée dans le personnel navigant de l’armée de l’air m’a sensibilisé à l’importance de la teneur en eau dans les différentes couches de l’atmosphère. Ces données, qui sont peu accessibles à la société civile, sont une des clés qui expliquent les désordres climatiques que nous vivons.

Comment l’eau atmosphérique régule-t-elle le climat ?

L’eau présente dans l’air agit comme un climatiseur naturel. Le « confort » climatique d’une forêt s’explique par sa forte évapotranspiration. L’évaporation de l’eau évacue jusqu’à 60 % de l’énergie solaire. Les canicules que nous vivons à répétition, s’illustrent par un air extrêmement sec favorable également aux incendies. Une nature sèche ? C’est une nature morte qui chauffe et qui brûle ! L’eau de l’atmosphère, dans tous ses états — vapeur, liquide solide, est notre meilleure protection pour la chaleur l’été, mais aussi pour le froid l’hiver.

Comment analysez-vous les politiques de limitation des usages de l’eau ?

En contraignant les usages agricoles, on empêche les plantes de pousser en été et on ne protège plus les sols. Cela a deux effets négatifs. D’une part, l’eau de l’air ne joue plus son rôle de régulateur thermique. De l’autre, les nuages ne sont plus alimentés. En effet, les pluies sont constituées à 70 % de l’évapotranspiration des plantes. Les nuages précipitent surtout là où ils rencontrent un air déjà chargé en eau. L’eau appelle l’eau ! Sans couverture végétale suffisante pour maintenir le cycle de l’eau, on assiste à un processus de désertification qui amplifie la disparition de la couverture végétale.

Le Giec [2] prévoit une dégradation dans la répartition annuelle des pluies : inondations et sécheresses, mais un maintien de la pluviométrie globale. Face à cela, nous avons absolument besoin de constituer des réserves l’hiver pour les utiliser en été. Cette eau doit être vue comme un rempart qui nous évitera de subir les sécheresses des pays et continents voisins. En effet, lors des épisodes de sécheresse, l’air sec du Sahara se déplace et remonte jusqu’à la France.

Quelles sont les solutions ?

Nous devons nous inspirer de la nature et des saisons, la référence étant la forêt de feuillus. Dès lors, un bassin versant ne doit pas rejeter plus de 30 % des pluies. Or en France, les rivières rejettent en mer entre 50 et 70 % des pluies. On ne manque pas d’eau, on en jette beaucoup trop ! Ces rejets excessifs viennent notamment des eaux urbaines (pluies et eaux usées) qui pourraient assurer dix fois les besoins actuels en irrigation. Avec un taux de recyclage de l’eau à 0,8 %, la France accuse un retard considérable. La phyto-épuration à grande échelle avec des arbres à croissance rapide comme les saules est une technique très rentable et éprouvée au Québec. En agriculture, il est nécessaire d’augmenter la couverture végétale toute l’année, mais en priorité l’été, et de collecter tous les ruissellements dans des réserves collinaires. On climatise et on nourrit la planète avec du végétal vivant, pas avec des déserts.

(1) Fils d’agriculteur, et ancien personnel navigant de l’armée de l’air, Laurent Denise consacre ses recherches aux liens entre climat, eau et biodiversité. (2) Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.