La campagne betteravière de 2023 est chamboulée. En cause : l'absence de dérogation pour l’enrobage des semences de betterave avec des néonicotinoïdes (NNI), décidée par le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, pour être conforme avec l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 19 janvier 2023.
La filière est prise de court et s’organise pour passer le cap. Le dossier le plus urgent concerne l’indemnisation des éventuelles pertes de rendement causées par la jaunisse. Cette dernière avait provoqué en 2020 une chute de rendement de 30 % en moyenne, pouvant dépasser 60 % localement. Une réponse du ministère est attendue dans les prochaines semaines, le temps de définir les modalités (base de calcul de l'indemnisation, budget alloué cette année...). En 2020, l’État avait versé environ 60 millions d'euros à près de 8 000 planteurs, dans le cadre d’un dispositif "de minimis" (aides soumises à un plafond), "pour des pertes estimées à 235 millions d'euros", selon la CGB (1).
Les planteurs ont déjà prévenu : « Les pertes doivent être totalement prises en charge, sans franchise et sans plafonnement des aides », lance Franck Sander, président de la CGB. Une nécessité afin de « soutenir les planteurs et limiter au maximum la baisse des surfaces pour sécuriser toute la filière, notamment les usines de transformation de l'aval », écrit Xavier Bertrand, président de la Région Hauts-de-France dans une lettre adressée à Marc Fesneau le 26 janvier. Le 8 février 2023, une manifestation est organisée à l’appel de la CGB, de plusieurs fédérations départementales de JA et de la FNSEA Grand Bassin parisien, pour dire « stop à la liquidation de l’agriculture ».
Baisse de surfaces
Le temps presse pour définir le plan d’accompagnement car les premiers semis commencent dans quelques semaines. Cela laisse peu de temps aux planteurs souhaitant revoir leur assolement. Heureusement, les semenciers français n’avaient pas encore enrobé les semences avec un NNI, contrairement à certains pays (lire l'encadré).
Même s’il est trop tôt pour avoir un chiffre national précis, les surfaces betteravières devraient reculer, notamment dans les zones au sud de Paris, les plus touchées par la jaunisse en 2020. Certains planteurs, à l’instar de Pascal Verrièle, dans la Seine-et-Marne (lire le témoignage) envisagent de réduire leur sole.
D'autres, comme Xavier Sureau dans le Loiret, devraient maintenir à peu près le même assolement pour diverses raisons : décision tardive, cours du sucre porteur, absence de séchoir à maïs, coûts de l'énergie... Pour inciter aux semis de betteraves, Cristal Union a déjà annoncé un objectif de prix de 45 €/t à 16° pour 2023, contre 40 €/t annoncés en juin 2022.
Insecticides en végétation
La lutte contre la jaunisse passe à court terme, par deux ou trois applications d’insecticides foliaires en végétation, en fonction des seuils de risque en pucerons. Un produit est homologué sur betterave, le Teppeki (flonicamide) à raison d’une application au maximum par campagne. Utilisable en complément, le Movento (spirotetramat) devrait à nouveau faire l’objet d’une dérogation ce printemps.
De nouveaux insecticides sont aussi testés mais les premières autorisations ne sont pas attendues avant un an au moins. Il s’agit pour la plupart d’extension d’usage de molécules déjà connues. Mais dans le lot, figure une nouvelle matière active développée par BASF dont la date d’homologation dans l'UE n’est pas connue. Marc Fesneau a interpellé l’exécutif européen le 30 janvier sur la nécessité d’accélérer les procédures d’homologation de substances alternatives.
Le semis de plantes compagnes (avoine rude par exemple) un peu avant ou au moment de la plantation des betteraves peut aussi limiter la pression des ravageurs, par effet répulsif. Un nouveau modèle de suivi des pucerons devrait informer dès ce 15-20 février si leur arrivée est précoce. Si c’est le cas, les plantes compagnes peuvent se justifier.
Variétés tolérantes
L’enjeu est aussi de poursuivre la recherche des alternatives, dans le cadre du PNRI (plan national de recherche et d’innovation), dont les actions devraient progresser plus vite que prévu. Les travaux sur le biocontrôle des pucerons (médiateurs chimiques et auxiliaires prédateurs) vont se poursuivre. Mais le grand espoir vient des variétés tolérantes à la jaunisse.
« Sur les 121 betteraves testées cette année, 35 nouvelles ont le profil jaunisse », indique Ghislain Malatesta, responsable du département de l'expérimentation à l’Institut technique de la betterave. En février 2023, devraient être inscrites plusieurs variétés avec un niveau correct de tolérance. Elles devraient être testées dans les fermes expérimentales du PNRI cette année et en 2024 à plus grande échelle. Mais toutes ces variétés présentent encore 10 à 20 % de productivité en moins par rapport aux témoins en cas de forte pression de jaunisse. Selon les obtenteurs, il faudra attendre encore 2026-2027 pour semer des betteraves productives comme les témoins.
(1) Confédération générale des planteurs de betteraves