Après une fin d’année 2022 et un début de 2023 exceptionnellement doux partout en France (lire l'encadré), l’hiver a repris ses quartiers cette semaine. Ce retour du froid n’a rien de problématique à ce stade, les températures ne devant pas descendre trop bas. Les opérateurs sur le terrain restent toutefois attentifs pour la suite. En effet, la douceur anormale a fait galoper les cultures.

"Les parcelles sont belles, trop belles !" lance un opérateur dans le Gers, qui n’a jamais vu des céréales aussi vertes à cette époque-là. Les blés sont déjà à trois talles, voire en redressement." Ce n’est pas bon si on a un très gros coup de froid dans les prochaines semaines, poursuit-il. Habituellement on est plutôt à un ou deux talles." Son inquiétude porte surtout sur les blés améliorants et les blés durs.

Talles secondaires

"Sur les semis de blés antérieurs au 5-10 octobre, on a commencé à avoir des décollements d’épis au début de janvier », précise de son côté un opérateur de la Lorraine. Une situation identique à celle observée en 2011-2012, qui avait été suivie d'un gros coup de froid en février 2012. Dans le Poitou-Charentes, entre le 20 octobre 2022 et le 13 janvier 2023 sur la station de Niort, les sommes de températures sont de 860°C et dépassent de 160°C les valeurs habituellement enregistrées sur cette période. Presqu'aucun épisode de gel n'a été observé, si bien que les cultures ne sont pas suffisamment endurcies. Certaines talles secondaires sont même apparues dans les semis d'octobre. Pour les orges de printemps semées à la fin de l'automne, la douceur du début de l'année exige une surveillance des pucerons et des cicadelles car elles sont actuellement à un stade végétatif sensible.

Les désherbages des céréales ont bien fonctionné à l’automne, et la forte minéralisation automnale et hivernale a généralement permis une bonne alimentation en azote. La question du positionnement du premier apport va se poser, surtout dans un contexte de prix des engrais élevé. "Il serait logique de le décaler dans le temps au vu des talles déjà présentes, mais il faudra voir les conditions au 15 février avant de décider", estime un responsable agronomique en Bourgogne. Jean-Charles Deswarte, écophysiologiste chez Arvalis, insiste : "Il conviendra de bien évaluer la minéralisation et les besoins réels de la culture." Et de citer l'exemple de "gros blés qui ont déjà absorbé 50 unités d'azote contre 15 à 20 habituellement."

Elongation des colzas

Les colzas aussi sont très développés. Ceux semés précocement ont atteint des biomasses exceptionnelles, jusqu’à 5 kg de poids vert, c’est du jamais vu ! Certains sont déjà allongés, parfois de 10 à 15 cm comme en Champagne. "Il n’y a pas eu réellement d’arrêt végétatif. Le coup de froid de la mi-décembre a provoqué un peu de défoliation mais c’est reparti illico, explique l'opérateur lorrain. Pour toutes les parcelles avec des densités faibles, les pieds sont tellement développés que même si le bourgeon terminal subit un accident climatique, le colza va repartir." Dans les parcelles à densité élevée, l’élongation peut, elle, poser plus de problèmes. Point positif, les désherbages à la propyzamide ont fonctionné plus rapidement que d’habitude car le temps était plus poussant. Le climat doux a favorisé le développement des larves d’altise mais a engendré une forte minéralisation de l'azote du sol.

Réserves peu remplies

Autre inquiétude : le manque de précipitations dans certaines régions comme le Poitou-Charentes et le Sud. Il faudrait des mois de janvier et février très pluvieux pour combler la sécheresse actuelle. Les réserves d'eau ne sont pas complètement rechargées tandis que le niveau des nappes souterraines se situe aussi en dessous des normales.

"C'est l'héritage du cycle hydrologique de 2021-2022 et d'un début de recharge en 2022-2023 qui est tardif et déficitaire", indique Violine Bault, hydrogéologue au BRGM (1). Les pluies étaient insuffisantes et avec les températures douces, la végétation est restée active jusqu'en novembre, consommant l'eau qui n'arrivait pas à aller plus en profondeur pour recharger les nappes. "S'il ne pleut pas suffisamment, les arrêtés de restriction en eau risquent effectivement de tomber plus tôt en saison", juge le BRGM. Certains anticipent déjà un recul des surfaces de maïs irrigué dans ce contexte difficile d'accès à l'eau et de hausse des coûts de l'électricité.

(1) Bureau de recherches géologiques et minières.