Comment faire de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) un organisme impartial d’expertise scientifique ? À la suite des polémiques autour du glyphosate et d’une pétition signée par plus d’un million d’Européens, la commission européenne a fait part, en avril 2018, de propositions en faveur de plus de transparence. En France, le Sénat s’est emparé, depuis, de cette feuille de route. Et après trois mois de réflexion et d’auditions, sa commission des affaires européennes a livré, le 14 novembre 2018, sa résolution : si les mesures dévoilées par Bruxelles sont satisfaisantes, indique-t-elle, elles ne sont pas suffisantes. « Nous assistons à un changement de culture au regard de l’évaluation des risques, ça n’est pas rien, note la rapporteure socialiste, Laurence Harribey. Mais, pour pleinement répondre aux défis mis en évidence par la crise du glyphosate, d’autres mesures sont nécessaires. »
À quel moment publier les études ?
Les sénateurs pointent en particulier la détermination du moment où les études présentées par les industriels du secteur alimentaire doivent être publiées. Car si le principe de publier les études sur lesquelles reposent les avis de l’Efsa semble faire consensus, le débat se concentre sur le moment de publication.
Pour les ONG, il est important que cela se fasse lorsque les demandes d’autorisation sont déposées par les industriels. L’Union des industries de la protection des plantes (UIPP) estime en revanche que les études ne devraient être publiées qu’une fois l’avis de l’Efsa rendu.
Pour la commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (Envi) du Parlement européen, la publication au moment du dépôt de la demande risque d’avoir des répercussions sur la compétitivité et la capacité d’innovation des demandeurs. De plus, la publication précoce des informations pourrait exposer l’Efsa aux aléas de la pression publique.
Au regard de l’ensemble de ces avis, les sénateurs soutiennent de leur côté la publication des études au moment où l’Efsa accepte d’étudier la demande d’autorisation ou de renouvellement. L’objectif est de « favoriser la transparence pour restaurer la confiance dans les avis de l’Efsa. Il est donc nécessaire que les études soient publiées dès lors que la demande d’autorisation est acceptée par l’Efsa au format de données standard », précise leur rapport.
Sur la nomination des experts
Dans sa proposition de règlement, la Commission européenne propose par ailleurs que les experts soient désignés par les États membres, avec la possibilité pour l’Efsa de proposer des membres supplémentaires pour garantir le niveau d’expertise. À l’instar de l’Anses, « nous demandons une plus grande implication du conseil d’administration de l’Efsa dans la sélection des experts », poursuit Laurence Harribey. Les États membres ne devraient pas être obligés de désigner des experts, selon les parlementaires. « L’objectif recherché est bien de limiter le rôle des États membres dans le processus de désignation des experts. »
Sur la gestion des conflits d’intérêts
Le Sénat regrette par ailleurs que « la proposition de règlement de la commission européenne n’aborde pas la question des conflits d’intérêts qui relève principalement du conseil d’administration de l’Efsa. Or il s’agit d’un enjeu essentiel. Des critères transparents et objectivement vérifiables sont nécessaires pour restaurer la confiance », souligne le rapport. La commission des affaires européennes souligne en conséquence la nécessité d’un contrôle externe et d’une publication des évaluations faites par l’Efsa des déclarations publiques d’intérêts qui lui sont soumises.
Autre point qui focalise les critiques : l’Efsa considère « acceptable » que les experts peuvent bénéficier directement de financements privés pour leurs recherches, à concurrence de 25 % du budget total perçu, même si ces fonds proviennent de groupes opérant dans le secteur correspondant au groupe scientifique auquel ils appartiennent au sein de l’Efsa. Pour l’Efsa, cette approche permet une solution équilibrée pour garantir l’absence de conflits d’intérêts, d’une part, et la participation de chercheurs de haut niveau ayant une expertise pertinente, d’autre part.
Les sénateurs se sont prononcés de manière favorable aux partenariats public-privé dans le domaine de la recherche. « Il y a un effet mécanique à prendre en compte, soutient Laurence Harribey : à mesure que la part des financements privés s’accroît, le nombre de chercheurs totalement indépendants diminue. Mais soyons raisonnables, le partenariat public-privé est incontournable, compte tenu du coût des recherches, et il n’exclut pas la transparence. » Pour la sénatrice de la Gironde, ça n’est pas tant sur le montant du financement que Bruxelles doit se mobiliser que sur la manière de gérer les contrats et le cahier des charges.
Les études académiques face aux études réglementaires
La proposition de règlement de la Commission européenne prévoit en outre une consultation des tiers qui pourront proposer des études complémentaires dans le cadre d’une procédure d’évaluation des risques par l’Efsa. Toutefois ces études devront correspondre aux critères fixés par les lignes directrices de la Commission européenne. Seulement sa proposition de règlement n’aborde pas le sujet.
« La polémique sur le glyphosate est notamment liée au fait que l’Efsa n’a pas accepté de prendre en compte certaines études académiques qui, pour les ONG, sont suffisamment rigoureuses sur le plan scientifique », explique le rapport du sénat. Cette proposition de règlement doit donc s’accompagner d’« une réévaluation de la force probante des études académiques validées par les pairs », en vue d’un meilleur équilibre entre les études académiques et les études réglementaires.
Des études sur le produit ou la substance ?
Dans le cas du glyphosate, un des reproches adressés par les ONG à l’Efsa est de ne pas avoir pris en compte certaines études qui analysaient des produits contenant du glyphosate. Or, la mission de l’Efsa est d’analyser les risques liés à la substance seulement, l’autorisation de mise sur le marché des produits contenant cette substance mélangée à d’autres relevant des États membres. Pour l’Anses, une évaluation, voire une décision, centralisée pour les autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, comme pour les médicaments, serait pertinente à deux conditions :
- que les États membres puissent discuter l’évaluation avant sa finalisation ;
- qu’ils gardent un pouvoir d’opposition à la mise sur le marché dans leur pays, pour des raisons qui leur sont propres, lorsque la mise sur le marché est autorisée au niveau européen.
Cette question devra être débattue dans le cadre d’une probable prochaine révision du règlement, indiquent les sénateurs.
Une meilleure coordination entre les agences
« Il serait bon de favoriser la communication entre les différentes agences pour qu’elles puissent se coordonner. En effet, rien n’est plus nuisible à la crédibilité des agences que des avis contradictoires », souligne le rapport parlementaire. Le règlement européen instaure en effet le forum consultatif au sein de l’Efsa. Composé de représentants des instances compétentes des États membres qui accomplissent des tâches analogues à celles de l’Efsa, à raison d’un représentant désigné par État membre, l’instance de dialogue doit permettre l’échange d’informations sur les risques potentiels et la mise en commun des connaissances.
Les sénateurs adhèrent à cette proposition européenne et considèrent qu’il est important d’agir : « Avec les agences internationales, il appartient, d’une part, à la Commission européenne de définir des lignes directrices d’évaluation communes et des critères méthodologiques harmonisés dans le cadre d’une procédure itérative, d’autre part, aux agences européennes de conclure des accords de coopération. »
La transparence dans le processus de gestion du risque
La proposition de règlement présentée par la Commission européenne n’aborde pas par ailleurs, le processus de gestion du risque « qui devrait pourtant être plus transparent et plus cohérent », estiment les sénateurs. « La Commission européenne et les États membres devraient avoir l’obligation de rendre publics les procès-verbaux des réunions des groupes de travail et des comités permanents. »
En cas de désaccord entre un exploitant et l’Efsa sur la nature confidentielle de certaines informations, le Sénat défend également la mise en place d’une procédure d’appel. Cette instance permettrait ainsi d’éviter un recours immédiat à la solution judiciaire, prônent-ils.
La commission des affaires européennes du Sénat juge enfin nécessaire l’augmentation du budget de l’Efsa « malgré un contexte budgétaire difficile ». La résolution parlementaire française a été transmise à la commission européenne. Cette dernière espère modifier la législation « au cours de la législature actuelle, c’est-à-dire pour la mi-2019 ».
La synthèse du rapport de la commission des affaires européennes au Sénat.