L’agriculture de conservation n’est pas réservée aux systèmes spécialisés en céréales, elle a toute sa place dans les petites exploitations de polyculture élevage. Notamment parce que les besoins de main-d’œuvre familiale y sont très contraints mais aussi, et surtout, parce que les interactions entre les ateliers d’élevage et de cultures sont favorables à la circulation de la matière organique et à un bon fonctionnement des sols.

C’est en tout cas ce qui ressort du système d’exploitation adopté par Nicolas Hautot et sa mère Béatrice, associés du Gaec Ferme des Hellandes à Angerville-l’Orcher, dans le pays de Caux en Seine-Maritime. L’entreprise, qui compte 90 vaches laitières, 45 ha de grandes cultures et autant de prairies permanentes, généralise des techniques sans labour depuis six ans et se convertit à l’agriculture de conservation depuis trois ans. « Je voulais gagner du temps. Alors que d’autres auraient fait le choix d’un robot de traite, j’ai préféré investir dans un semoir adapté à l’agriculture de conservation », retrace Nicolas.

Les agriculteurs retirent déjà des bénéfices agronomiques du nouveau système. « Les analyses, réalisées il y a une dizaine d’années, classaient les sols de la ferme en limons battants. Aujourd’hui, les terres sont sablo-limoneuses, constate le jeune agriculteur. Je suis certain que le résultat auquel nous sommes parvenus, après trois ans d’agriculture de conservation, aurait mis plus de six ans à se concrétiser sans les apports de l’élevage. » Il utilise, en effet, les effluents comme pilier de la gestion de la matière organique dans les sols en vue de nourrir et d’accélérer l’activité des micro-organismes. Il estime moins subir le phénomène de « faim d’azote » souvent rencontré les premières années de mise en place en agriculture de conservation.

Lisier oxygéné

Les pailles de blé et d’orge sont exportées, mais les associés redistribuent la matière organique issue des bâtiments d’élevage sous forme de lisier ou de fumier jeune. « J’ai la chance d’avoir un parcellaire groupé autour de l’exploitation et je n’hésite pas à investir dans le transport via une entreprise de travaux agricoles pour épandre les effluents à toutes les parcelles, même les plus éloignées, insiste Nicolas. Presque chaque culture est ainsi précédée d’épandages de matière organique. Avant une culture d’hiver, telle que le blé ou le colza, j’épands en général 35 m3 de lisier et 40 t de fumier jeune. Avant un maïs qui sera plus sensible à la « faim d’azote » provoquée par la présence de pailles dans le fumier jeune à décomposer, j’inverse les proportions avec 50 m3 de lisier et 35 t de fumier. »

Pour une qualité de fertilisation optimale, l’éleveur oxygène le lisier régulièrement sous le caillebotis construit lors de son installation sur la ferme il y a trois ans, et qui a permis de doubler les capacités d’occupation du bâtiment (de 45 à 90 vaches laitières). Cette année, cette stratégie de fertilisation combinée à l’implantation de couverts de légumineuses associés a permis à l’agriculteur de faire l’impasse sur la fertilisation minérale sur colza avec un objectif de rendement maintenu à 4 t/ha.

Rotation de huit ans

Les associés se sont fixés comme principe, d’effectuer une rotation de huit ans durant laquelle la même culture ne peut pas revenir plus d’une fois, sauf pour le blé et le maïs qui reviennent deux fois chacun. Les autres cultures de la rotation sont l’orge, le colza ainsi que des cultures de lin fibre et de pomme de terre réalisées via un système d’échange de parcelles. « La culture de pomme de terre entraîne un retournement de terre, ce qui casse le système de conservation des sols. Mais je pense à mes vaches laitières avant tout. L’échange de parcelle réalisé me permet d’obtenir en retour des pommes de terre déclassées pour le troupeau. Avec un niveau d’étable assez élevé de 9 000 l/an/vache, je recherche des sources d’alimentation énergétiques pour équilibrer les rations. J’ai cependant spécifié dans le contrat d’échange, que les terres doivent être libérées suffisamment précocement. Et je sème la culture suivante le jour même de la récolte des tubercules. »

Lorsque cela est possible, les associés implantent des couverts d’interculture de ray-grass et trèfle incarnat qui seront valorisés en pâturage ou en fauche. En tête d’assolement, ils utilisent un couvert élaboré à base de féverole, pois, moutarde, vesce et trèfle afin d’apporter de la matière organique.

Alexis Dufumier