L’état jugé très mauvais des blés d’hiver américains emballe les cours US, suivis de façon beaucoup plus timide par les prix européens et mer Noire. La hausse est aussi à l’œuvre en maïs, là encore de façon moins marquée dans l’UE que dans le reste du monde.
Blé : ébullition aux USA, circonspection dans l’UE
Il y a le feu aux plaines US ! La publication des dernières notations de culture de blé aux États-Unis a donné un coup d’accélérateur à la hausse des prix. Dans le Kansas, épicentre de la culture de hard red winter (lui-même fer de lance du blé états-unien à l’exportation), la part des plantes jugées dans un état « bon à excellent » est au plus bas pour cette période de l’année depuis plus de dix ans, faute de pluies. De quoi déclencher une vague de rachats de positions vendeuses de la part des fonds à Chicago, où le contrat du soft red winter (principal support d’investissement pour le blé) a bondi de plus de 15 $/t en deux jours, franchissant la barre symbolique de 5 US$ par bushel. Ces dernières heures, le phénomène semblait s’essouffler avec un petit affaissement des cours.
De l’autre côté de l’Atlantique, la hausse est beaucoup plus prudente (notamment du fait de la moindre présence des financiers sur les marchés européens). Si l’échéance de mars d’Euronext (fortement influencé par Chicago) a gagné plus de 6 €/t sur la semaine, à 167,25 €/t, le rendu Rouen n’a engrangé que 1,5 €/t, à 158,5 €/t, suivi de façon similaire par les autres places physiques françaises.
Le blé européen reste en effet très en retard du côté de l’exportation, ce qui modère fortement l’impact de la hausse US et de la dévalorisation de l’euro, qui retrouve son niveau le plus bas face au dollar depuis la mi-janvier. L’Europe pâtit toujours d’un programme d’exportation ébouriffant au départ de la Russie, où les cours sont légèrement soutenus par la fermeté du rouble et par une demande dynamique.
Dans l’UE comme en Russie, la violente chute des températures n’a donc pas été suffisante pour inquiéter les opérateurs. Une attitude plutôt rationnelle puisque les dégâts devraient être très limités en Europe, et qu’une couche de neige protectrice s’est installée en Russie. Il reste désormais à voir si l’épisode haussier aux États-Unis n’est qu’un feu de paille (la corrélation entre l’état des cultures à ce stade de développement et le rendement final est très faible), où si la sécheresse continue de sévir au point de définitivement amputer la production.
L’orge surclasse le blé
Situation peu commune, l’orge rendu Rouen affiche 5 €/t de plus que le blé, à 163,75 €/t, la hausse ayant été cette semaine légèrement plus marquée qu’en blé (+3,5 €/t). Le prix de l’orge profite du petit regain de fermeté du blé, et est porté par les incertitudes qui pèsent sur l’ampleur de la récolte argentine, qui conditionnera la concurrence exercée à l’exportation par cette origine.
L’orge bénéficie également des appels d’offres récents de la Tunisie et de l’Iran (ce dernier devrait établir cette année un nouveau record à l’importation). L’orge brassicole d’hiver affiche une performance encore meilleure que la fourragère, progressant de 6 €/t en Fob Creil sur les sept derniers jours, à 159 €/t. Le contexte est moins porteur pour les orges brassicoles de printemps, dont le prix Fob Creil recule de 4 €/t sur une semaine, à 185 €/t, faute de demande en ancienne récolte.
Le maïs français décolle enfin
L’accélération de la hausse des prix du maïs pour les grandes origines mondiales a enfin permis aux prix français de suivre le mouvement (aidés également par la baisse de l’euro). Le Fob Rhin gagne ainsi 4 €/t cette semaine, à 163 €/t, tandis que le Fob Bordeaux se contente de +2 €/t, à 153 €/t.
Le compteur s’affole nettement plus pour les grands concurrents de l’UE, avec des origines brésilienne, US et mer Noire qui progressent d’environ 10 $/t. Cette hausse a conduit Bruxelles à ramener le droit d’importation dans l’UE à 0,56 €/t seulement, contre 10,95 €/t auparavant.
Plusieurs facteurs alimentent ce raffermissement brutal : la poursuite de la sécheresse en Argentine, les bons chiffres d’exportation US et la demande chinoise dynamique adressée à l’Ukraine. La congestion logistique observée aux États-Unis (liée aux hautes eaux sur les grandes artères fluviales) conforte également ce mouvement.
En arrière-plan de ce contexte favorable au rebond des cours se profile une incertitude de taille : la politique qui sera retenue par l’administration Trump au sujet des niveaux d’incorporation obligatoire de biocarburant dans l’essence. Le bras de fer est d’ores et déjà lancé entre l’industrie pétrolière et les représentants de la filière du maïs, deux poids lourds du lobbying à Washington.
La guerre du soja aura-t-elle lieu ?
La guerre commerciale qui se profile entre les USA et la Chine pourrait radicalement – et rapidement – transformer la physionomie du marché du soja. En annonçant ce jeudi qu’il imposerait dans les prochains jours de fortes taxes sur les importations d’acier et d’aluminium chinois pour défendre l’industrie sidérurgique américaine, le président Trump expose les producteurs de soja américain à la perte potentielle de leur principal marché à l’exportation.
Les autorités chinoises ont en effet clairement annoncé ces dernières semaines qu’elles étudiaient la possibilité de restreindre les importations de soja en provenance des USA en cas d’escalade de la guerre commerciale. Toutefois, si elle abattait cette carte, la Chine choisirait de concentrer ses achats vers l’Amérique du Sud, ce qui pourrait entraîner une hausse considérable des prix du soja brésilien et argentin, et, par ricochet, du prix du porc chinois, avec le risque de mécontenter sa population. Face à ce risque, Pékin pourrait donc opter pour une autre stratégie. C’est bien ce qu’espèrent les producteurs de soja aux USA, qui verraient sinon les prix du soja à Chicago s’effondrer compte tenu de la montagne de marchandise encore à écouler.
Dans ce contexte très incertain, le prix du soja a continué cette semaine son ascension sur fond de mauvaises conditions climatiques en Argentine, de retard de récolte au Brésil et de congestion tant au Brésil qu’aux USA. Il gagne 9 $/t à Chicago.
Le colza peine à suivre
Le colza gagne aussi du terrain sur la semaine dans le sillage de la graine de soja et de l’huile de palme. La hausse reste cependant limitée par une légère baisse du prix du pétrole et une situation de marché confortable en Europe comme à l’échelle mondiale. Les cours progressent d’environ 4 €/t rendu Rouen, Fob Moselle et pour le contrat de mai 2018 d’Euronext. Au Canada, le canola profite aussi d’un léger recul du dollar canadien par rapport au dollar US et progresse de 6 $/t.
Le cours du tournesol à Saint-Nazaire est moins sujet à la hausse en raison de disponibilités européennes abondantes. Il est coté à 312 €/t contre 310 €/t la semaine dernière.
Le tourteau de soja mène la danse
Le tourteau de soja reste la locomotive du mouvement de hausse des prix de ces dernières semaines. Il a encore gagné 19 $/t à Chicago et 13 €/t à Montoir depuis la semaine dernière. Alors que la production de tourteau de soja a connu des niveaux globalement en deçà de la demande au niveau mondial depuis le début de la campagne, la confirmation et l’aggravation des craintes pour la récolte du premier exportateur mondial (l’Argentine) continuent de soutenir fortement les prix.
La tension attendue sur le bilan argentin de soja va inévitablement limiter l’offre mondiale en tourteau alors que la croissance mondiale des besoins animaux reste soutenue, même pour ce niveau de prix. Toutefois, la hausse du tourteau de soja a permis d’élever les marges de trituration partout dans le monde, ce qui laisse pour l’heure envisager une offre en tourteau de soja à la hauteur de la demande malgré les pertes argentines.
Le pois départ Marne reste imperméable à la hausse du prix du tourteau faute de demande. Il est stable par rapport à la semaine dernière, à 168 €/t.
À SUIVRE : guerre commerciale USA-Chine, sécheresse en Argentine (oléagineux) et aux USA (blé), rythme de récolte au Brésil, commercialisation des sojas brésiliens et US, rythme de ventes des colzas australiens.