«M on objectif est simple : avoir recours à un minimum d’intrants, principalement herbicides et fongicides, tout en conservant mes marges, déclare Francis Trotot, cinquante-deux ans, installé sur 140 hectares à Quevilloncourt, en Meurthe-et-Moselle. Pour cela, je mise au maximum sur le biocontrôle, en maintenant mes parcelles à peu près propres, et je raisonne mes traitements en observant l’état de mes cultures, pour ne pas faire de traitement systématique. L’an passé, par exemple, le temps était très humide, mais en utilisant un seul fongicide à demi-dose, j’ai obtenu les mêmes résultats que mes voisins qui sont passés trois fois. J’ai sorti le pulvé au bon moment, et non parce que le BSV (1) le conseillait. »

Depuis deux ans, Francis a mis en place un petit groupe technique informel, associant des céréaliers comme lui, et des polyculteurs-éleveurs. Ils sont une dizaine dans sa petite région, le Saintois et deux dans le Lunévillois, plus à l’est, à se réunir régulièrement. L’objectif est de partager leurs expériences, trouver des solutions qu’ils n’attendent plus des organismes « traditionnels ». Ces cerniers sont, à leur sens, insuffisamment précurseurs dans le domaine des solutions alternatives au tout phyto.

« Nous estimons que nous sommes arrivés aux limites d’un système, souligne Francis Trotot. Nous ne pouvons pas rester en marge des demandes de la société, avec des médias généralistes toujours prêts à nous montrer du doigt, comme récemment avec le glyphosate ou les inondations. Nous devons réduire la chimie, pour être en phase avec les évolutions environnementales. L’économie, la préservation de notre outil de travail premier qu’est le sol, tout est conciliable si on va dans le bon sens. »

Des plantes compagnes

Et Gabriel Husson, céréalier sur 280 hectares à Vaudigny, d’ajouter : « Nous avons suivi ensemble une douzaine de formations sur la vie du sol, la matière organique, les couverts végétaux, la réduction des phytos. Nous avons fait venir des intervenants sur des sujets précis, comme un météorologue. En juin, trois d’entre nous iront se former sur les huiles essentielles. » Plusieurs des agriculteurs du groupe sont aussi adhérents de l’Apad (2) Nord-Est.

Francis Trotot était précurseur dans les TCS, il a abandonné le labour il y a vingt-cinq ans. « J’ai toujours été en marge du système, confie-t-il. Je me suis installé sans les aides, parce que j’étais soi-disant trop jeune à l’époque. Mais cela m’a obligé à me prendre en main, à ne pas tout attendre des services techniques des chambres, coops ou négoces. » Francis a également été le premier agriculteur à adhérer au groupe « gestion de parcelles » de la chambre d’agriculture de Meurthe-et-Moselle, en 1994. Depuis, il a continué à évoluer, travaillant de moins en moins le sol avec deux outils de base : un déchaumeur et un semoir Väderstad. En 2013, parce qu’il était ennuyé par le vulpin et des phénomènes de résistances de certaines adventices, le céréalier commence à mettre en place des couverts végétaux et allonge les rotations. Il achète un semoir Avatar Horsch en 2015, toujours pour le semis direct, mais performant dans les couverts. Après avoir cessé la culture du colza pendant plusieurs années, en raison de problèmes de désherbage, il remet désormais en place ce qu’il appelle un « colza d’opportunité ». Francis Trotot le sème avec des plantes compagnes, lentilles ou féveroles. L’ensemble est conduit comme un couvert, l’agriculteur ne récolte le colza que s’il est suffisamment beau. Les autres couverts sont à base de féverole, tournesol, avoine, trèfle blanc, phacélie, lentille. L’exploitant produit toutes les semences, sauf le trèfle et le lin. Il réalise ses associations avec une mélangeuse.

Produire sa semence

La prochaine étape est l’achat en commun de semences pour couverts. Il a été formalisé en ce début d’année 2018, pour négocier de meilleurs prix. Par la suite, les neuf agriculteurs produiront chacun une espèce pure. « Les solutions viendront de la base, estime Michaël Pauly, exploitant à Gripport. Nous ne comptons guère sur les organismes techniques ou les chercheurs. » Et Francis Trotot de souligner : « Pour le glyphosate, les doses utilisées ont été divisées par trois en douze ans. » L’agriculteur est persuadé de son interdiction d’ici à trois ans. « Il faut travailler sur d’autres solutions, comme les couverts permanents, gélifs, les plantes compagnes… »

Dominique Péronne

(1) Bulletin de santé du végétal.

(2) Association pour la promotion d’une agriculture durable.