On peut difficilement faire plus naturel que le verger bio de Christophe Bitauld, producteur de pommes à Saulnières (Ille-et-Vilaine). Son entretien est assuré par les moutons pendant que les poules noires de Janzé s’attaquent aux coléoptères. Les moutons sont arrivés il y a dix ans. « J’ai fait ce choix lors de mon passage au bio, puisque je ne pouvais plus utiliser de désherbant et qu’il était difficile de mécaniser l’entretien du rang entre les arbres », explique Christophe Bitauld. La race n’a pas été choisie par hasard. Il s’agit de moutons Shropshire. Ils ont la particularité de manger les feuilles des arbres sans toucher aux écorces. « C’est très intéressant car ils enlèvent les gourmands des pommiers sur une hauteur de 1 m, ce qui nous évite de tailler. »

Casser le cycle

Autre intérêt, les moutons raffolent du lierre, cette plante très problématique en bio qui étouffe les arbres. Les animaux mangent aussi les pommes véreuses. Elles tombent prématurément car sont touchées par le carpocapse du pommier, un ver qui fait chuter le fruit. « Comme toujours, l’important en bio est de casser les cycles. Grâce à son intervention, le mouton nous permet d’agir sur l’insecte. En plus, cela permet de gagner du temps au moment du tri avec les pommes pourries », ajoute le producteur.

Équilibre

Il a démarré avec 12 animaux. Au fil du temps, il a fallu trouver le juste équilibre entre le verger, le sol et les animaux. « Chez moi, la pression animale idéale est de 5 à 6 moutons par hectare, car j’ai des sols peu poussants, constitués de schiste et de grès armoricain avec peu de terre. » Les moutons sont toujours dehors sauf deux mois dans l’année pendant les périodes de froid et au moment des agnelages. Pendant la récolte des pommes, les animaux sont dans une zone de repli.

Les volailles mangeuses de coléoptères sont arrivées plus tard, en 2015. L’exploitation est située dans le fief du poulet de Janzé, connu pour son poulet label rouge incluant dans son cahier des charges un parcours arboré. « J’avais remarqué que, dans les parcours qui disposaient de pommiers, les arbres n’étaient pas touchés par l’anthonome du pommier », indique Christophe. Il s’agit d’un coléoptère qui vit dans le sol l’hiver et qui se réveille à la belle saison (avril, mai), monte dans les arbres pour pondre ses œufs dans le bouton floral, ce qui empêche son éclosion. L’impact est radical puisqu’il n’y a pas de fruit. Dans des vergers très infestés, la perte peut représenter 80 à 100 % de la récolte. « En bio, on n’a pas vraiment de solutions. On utilise un insecticide d’origine végétale, la pyrèthre, mais il n’est pas totalement efficace et il a un coût prohibitif (200 à 300 €/ha) », estime l’arboriculteur.

Limiter la main-d’œuvre

Décidé à faire des essais, il a commencé par prendre contact avec l’Écomusée du pays de Rennes. « Je voulais un animal plus rustique qui soit capable de tenir dans un verger. Il ne leur restait que quelques spécimens de poules noires de Janzé, race historique de la zone en voie de disparition. » Au printemps 2016, il a réalisé des comptages en plaçant 80 animaux sur 3 ha sur des variétés précoces et en comparant avec un verger témoin. Résultat : « On a baissé la pression d’anthonomes de 80 % ».

À l’origine, le choix d’introduire des animaux a surtout été réfléchi pour diminuer la main-d’œuvre, qui est un facteur limitant en agriculture biologique. La tonte de l’herbe nécessitait 8 à 10 passages sur une surface de 28 ha, à raison d’une heure par hectare. Contre la prolifération du lierre, il faut compter 50 à 60 heures de travail par hectare. « Les moutons arrivent à faire en deux jours ce que 3 à 4 personnes feraient en un mois. »

intéret économique

Bien sûr, il faut désormais déplacer les filets électrifiés qui protègent les poules et les moutons des prédateurs. Une clôture fixe n’était pas envisageable, compte tenu du parcellaire. « Cela me prend 5 heures tous les deux mois selon la pousse de l’herbe. Je préfère ce travail avec mon chien de troupeau plutôt que de faire 240 heures de tracteur en dépensant du fuel. » L’intérêt est également économique. « Grâce au passage des moutons, j’économise 60 €/ha pour la tonte de l’herbe, à multiplier par le nombre de passages et par la surface. Une belle somme à l’arrivée, reconnaît le producteur. Contre le carpocapse, le traitement en bio se fait par confusion sexuelle et vaut près de 1 000 €/ha, main-d’œuvre comprise. » Aujourd’hui, Christophe Bitauld ne pourrait plus concevoir de gérer un verger bio sans animaux.