Août 2018. Marie-France Eberhart est catastrophée : les rendements en céréales sont mauvais, les stocks de fourrages au plus bas, le maïs grillé. « J’ai dû acheter de la paille et du foin pour nourrir mes bêtes. Un gros stress ! », raconte cette jeune agricultrice de 33 ans, installée depuis 2015 à Brouviller, en Moselle. Pour expliquer ces déboires, elle reconnaît « des erreurs de gestion des sols, des mauvais choix de rotation. Trop de labour aussi. Le climat change et nous ne l’avons pas intégré. Nous connaissions notre deuxième année très sèche. En 2016, avec un printemps extrêmement pluvieux, les sols s’étaient tassés, sans que les hivers suivants viennent restructurer avec le gel ». La spécialiste des sols de la coopérative Lorca, Sophie Xardel, intervient alors et effectue un diagnostic à la fourche frontale : de la terre est prélevée sur 50 cm et examinée. Le résultat est sans appel : la structure des sols est bien dégradée. « Il y avait de gros soucis de compaction, note l’ingénieure. Ici, les limons sont très profonds et il n’y a pas de réserve de carbonates. Le calcium est vite lessivé. Le pH peut tomber en dessous de 6,5. Ce sont des terres qui supportent le sec, mais beaucoup moins les excès d’eau. Il s’est passé ici ce que je constate de plus en plus : la fertilité physique est touchée, il y a moins d’air donc moins de vie, moins d’agrégation. Des zones de compactions se forment, moins d’eau s’infiltre. »
Changement climatique
Dès lors, les actions s’enchaînent vite. « En août 2018 toujours, sur les conseils du service agronomie, j’ai fait venir deux camions de scories pour redresser le pH, précise Marie-France. 2 t/ha ont été épandues à l’aide d’une table d’épandage sur la trentaine d’hectares qui allaient recevoir le blé et l’orge d’hiver. Puis un déchaumeur Horsch Tiger a été passé à 27 cm afin de décompacter, aérer et enfouir les scories. Pas d’épandage de fumier, et j’ai laissé le sol se reposer. » L’orge est semée fin septembre, le blé mi-octobre. Pour améliorer la teneur en matière organique (MO) du sol, des couverts végétaux sont aussi implantés depuis plusieurs années avant le maïs ensilage. Des mélanges à base de semences suisses, RGI et trèfle violet, qui sont mis en place deux semaines après la moisson de l’orge et de suite après celle de blé.
Un ph qui passe de 5,8 à 6,6
En 2019, les rendements obtenus ont été nettement meilleurs, malgré des conditions climatiques qui se répètent : un peu plus de 90 q/ha en orge, 75 q/ha en blé. À l’œil, les sols se portent déjà nettement mieux : ils sont plus motteux, friables sous les doigts. En 2019, l’opération est renouvelée avec les mêmes très bons résultats sur les rendements 2020. Le silo de maïs est bien rempli. Le foin et la paille sont même excédentaires. Traumatisée par l’épisode de 2018, Marie-France stocke donc tout ce qu’elle peut. « Mon objectif est d’avoir toujours plus d’autonomie, de nourrir mes bêtes sans avoir à acheter », souligne-t-elle. Cette année, pour le chaulage, à la suite des préconisations de JeanPatrick Nussbaumer, le conseiller Lorca, c’est un carbonate pulvérulent qui a été utilisé, épandu à l’aide d’une rampe. La jeune agricultrice va continuer d’entretenir ses parcelles tous les deux-trois ans avec ce produit pour agir à moyen et long terme. Le suivi du pH a montré qu’il était passé de 5,8 en 2018 à 6,6 en 2020. Côté couverts, la jeune agricultrice va tester des mélanges seigle-vesce-pois-avoine-trèfle-radis : « Avec ces couverts, une bonne herbe, de l’orge, la ration alimentaire est équilibrée, il n’y a pas besoin de rajouter de protéines. »
Au-delà des bons résultats sur les rendements, Marie-France constate d’autres bénéfices : « J’ai consommé nettement moins de gasoil, grâce à la réduction de passages d’herse rotative et de charrue. Les valeurs alimentaires de mes fourrages se sont améliorées, ce qui profite aux animaux. La portance des sols est nettement meilleure, ils sont sains et frais en profondeur, avec une eau qui circule bien et des vers de terre présents. »
Dominique Péronne