Si le glyphosate est employé sur près d’un hectare sur deux, ce n’est pas sans raison. Il est peu coûteux, permet de lutter efficacement contre les vivaces et de gérer les annuelles comme ray-grass ou brome… Aucun autre herbicide total systémique n’existe sur le marché à l’heure actuelle.

Qu’est-ce qui pourrait s’en rapprocher ? Uniquement des produits de contact, qui n’ont pas la même efficacité et qui ne sont pas forcément homologués pour les mêmes usages que le glyphosate : le glufosinate ammonium (Basta F1), classé « toxique », ou le diquat (Réglone 2), en cours de réhomologation. Le glyphosate semble donc présenter un meilleur profil toxicologique. Seul l’acide pélargonique (Beloukha), une molécule issue d’huile de colza, le devance sur cet aspect.

S’il était retiré, il faudrait des réponses technico-économiques et environnementales viables.

Alternatives risquées pour le rendement

Dans une étude menée en 2012 auprès de 8 distributeurs et 33 agriculteurs (en labour, TCS ou semis direct -SD), le bureau d’études Envilys a travaillé sur l’impact socio-économique des restrictions d’utilisation du glyphosate. Dans un scénario de diminution d’usage, les mesures de compensation envisagées sont l’augmentation du désherbage mécanique (pour préparer le lit de semence et en culture) et le recours à des herbicides sélectifs (en culture). Elles occasionneraient une augmentation du temps de travail et des charges de production, avec un surplus de 30, 110 et 100 €/ha selon que le travail du sol est réalisé avec labour, en TCS ou en SD. En l’absence totale de glyphosate, les conséquences s’aggraveraient : le SD serait remis en cause, la gestion des vivaces deviendrait une impasse technique et les possibilités de rattrapage d’un salissement seraient réduites.

Dans les deux cas envisagés, si les alternatives chimique et mécanique ne peuvent pas être mises en œuvre efficacement, en cas de conflit de chantier ou d’absence de fenêtre d’intervention par exemple, la perte de rendement estimée atteindrait 30 %. Sans glyphosate, ceci impliquerait la nécessité d’une réflexion à une échelle pluriannuelle et à celle de l’assolement de l’exploitation.

Dans cette perspective, le recul des techniques déjà développées en bio aide. Laurence Fontaine, directrice technique grandes cultures à l’Itab (1), plante le décor : « En polyculture-élevage ou dans le cas d’un débouché foin possible, la gestion des adventices bénéficie d’un outil supplémentaire : la possibilité de mettre une luzerne ou une prairie multi-espèce pendant deux ou trois ans. Les systèmes de grandes cultures « pures » sont ceux qui nécessitent le plus de technicité. » Plus technique mais possible ?

Augmenter le nombre de cultures

Le premier pilier pour la gestion des adventices est le choix d’une succession de cultures ayant des dates et des modes d’implantation différents. Jean Champion, conseiller à la chambre d’agriculture de la Drôme, rapporte que « les vivaces, liseron et chiendent par exemple disparaissent naturellement en changeant de rotation ». Dans la plaine dijonnaise, Alain Berthier, responsable des expérimentations « Zéro pesticides » du domaine expérimental de l’Inra, a constaté que « l’ajout d’un soja ou d’une orge de printemps dans la rotation colza-blé-orge a permis d’éradiquer le chiendent ». À ce sujet, Yann Fichet, de Monsanto, est beaucoup moins optimiste. Il redoute « une remontée des infestations de vivaces », qui lui rappelle des souvenirs de « tas de rhizomes de chiendent mis à brûler au bord des parcelles ». Le chardon et le rumex ne seraient pas très sensibles à l’effet de la rotation, poursuit Jean Champion, « mais en cas de forte infestation, il est possible de les faire disparaître en installant une luzerne et en les épuisant par fauches répétées ».

Dans une étude portant sur l’effet de la rotation sur la densité des adventices, il a été observé que l’ajout d’une culture à une succession de trois espèces diminue de moitié la densité : elle passe de 142 à 65 plantes/m2. Débat sur les vivaces mis à part, l’intérêt d’augmenter le nombre de cultures apparaît clairement. Quelle espèce ajouter ? Tout dépend de la zone et des débouchés accessibles. La clé est dans l’alternance des cultures d’hiver et de printemps, ce qui limite la sélection d’une flore spécifique. La succession de céréales avec des cultures sarclées (maïs, soja, tournesol) est une autre possibilité. Outil intéressant, les cultures étouffantes (chanvre, triticale, seigle) permettent de laisser une parcelle propre pour la culture suivante.

Le deuxième pilier est la gestion des adventices pendant l’interculture et le travail du sol. « Le déchaumage d’été est primordial, surtout dans le Sud, précise Jean Champion. Il permet de détruire la flore printanière avant sa montée à graine, et la flore estivale (datura, xanthium) par un effet faux-semis ». Là, un point sur la gestion des vivaces s’interpose : « Pas d’outil à disques qui aurait pour effet de favoriser la multiplication du chiendent ! Un outil à dents est préférable pour extraire les rhizomes de la surface, où ils sécheront. »

Les couverts participent aussi à la maîtrise des adventices : les espèces à démarrage rapide et au bon développement (avoine, moutarde) limitent leur levée. Autre critère à prendre en compte lors du choix des espèces : le mode de destruction envisagé (lire l’encadré ci-contre). Sans couvert, ou avant son implantation pour agir sur une flore déjà présente afin qu’elle ne monte pas à graine, la réalisation de faux-semis permet d’agir sur le stock semencier de graines d’adventices dans le sol.

Soigner l’interculture

Dans le cas d’un labour, et quelle que soit sa fréquence de retour, « la réflexion de la succession doit tenir compte des graines d’adventices qui vont être ramenées à la surface, indique Laurence Fontaine. Cela passe par la connaissance des adventices présentes les années précédentes, de la durée de vie de leurs graines dans le sol et de leur date de germination ». Le labour pénalise par exemple beaucoup le brome, dont les graines ont une viabilité courte dans le sol.

En SD, la question d’une diminution du glyphosate est épineuse, en particulier parce qu’elle rend la destruction des couverts très délicate. Le recours à un couvert permanent est alors une alternative. La difficulté liée à sa gestion tient du fait qu’un couvert suffisamment concurrentiel vis-à-vis des adventices l’est aussi vis-à-vis de la culture de vente. Dans la Nièvre, la chambre d’agriculture mène des essais sur la régulation chimique des couverts. Celle-ci a permis d’obtenir les mêmes rendements de blé avec ou sans couvert permanent de lotier. Elle ne suppose pas d’effectuer un traitement spécifique pour « calmer » le couvert puisqu’elle se fait avec des herbicides qui font partie du programme de désherbage de la culture.

En fin d’interculture, la préparation des parcelles pour la culture suivante peut faire intervenir du glyphosate. Une alternative à cet usage est la réalisation de faux-semis. Associés à un retardement de la date de semis, ils peuvent permettre d’éviter ray-grass et vulpin avant le semis d’une céréale d’hiver.

En culture,d’autres leviers limitent le développement des adventices : des densités de semis accrues et le choix de variétés couvrantes rendent la culture plus concurrentielle. « Veiller à avoir des semences propres » facilite aussi la gestion, rappelle Laurence Fontaine. Pour cela, un récolteur de menues-paille associé à la moissoneuse-batteuse peut faire la différence. De son côté, Alain Berthier raisonne aussi la fertilisation avec « des apports extrêmement contrôlés d’azote, en moindre quantité et mieux ciblés, pour couper les vivres des adventices ». Enfin, l’utilisation d’outils de désherbage mécanique (houe rotative, herse étrille, bineuse) permet d’agir sur les adventices jeunes. L’investissement dans ces outils peut être subventionné (lire l’encadré ci-dessus). Cependant, mis en place seul, sans ajustement de la succession et des pratiques en interculture, il ne sera pas un substitut suffisant.

(1) Institut technique de l’agriculture biologique.