La délégation intégrale de travaux n’est plus une nouveauté, mais l’entrée sur ce marché d’InVivo, présent sur le podium des plus grands groupes coopératifs européens, pourrait marquer un tournant. Avec son service Sowfields, des régisseurs seront chargés « d’apporter une expertise de délégation clé en main pour construire un projet » à des exploitants agricoles, précisait InVivo en août dernier. Le groupe coopératif prévoyait une communication sur le sujet en septembre. Au 15 octobre 2024, aucun détail supplémentaire n’a finalement été dévoilé.
Un statut de l’agriculteur à redéfinir ?
Si les syndicats agricoles avaient déjà exprimé leurs critiques, certains juristes et avocats ont eu l’occasion d’aborder le sujet les 11 et 12 octobre 2024 à Rouen (Seine-Maritime). C’était à l’occasion du congrès de l’Association française du droit rural consacré au thème du statut de l’exploitant agricole. Constatant que 7 % des exploitations délèguent intégralement leurs travaux, 13 % rien qu’en grandes cultures, Lionel Manteau, avocat honoraire, se demande si InVivo « ne va pas redistribuer les cartes ».
« En dehors du risque de la mainmise de tiers sur la production agricole, qu’en est-il du statut de l’exploitant qui doit exercer, selon le code rural, une activité personnelle, indépendante ? s’interroge-t-il à la tribune. Certains disent qu’il faut définir un statut de l’agriculteur, ou que l’on redéfinisse un statut de l’agriculteur en assouplissant le statut du fermage. Et puis il y a aussi d’autres propositions comme la mise en place d’un contrat spécifique de prestations de services agricoles. »
Un schéma qui « ne paraît pas reprochable »
Pour Samuel Crevel, avocat au Barreau de Paris, le schéma « d’agriculture déléguée » proposé par InVivo « ne paraît pas reprochable ». « Il en faut pour tous les exploitants, conclut-il. Mais il ne faut pas se cacher non plus, cette relation appelle, de la part du propriétaire qui s’engage, de la vigilance. » L’avocat estime que le propriétaire en question court un risque de voir la gestion déléguée de ses parcelles requalifiée en bail rural au cas où « le régisseur se paye en nature » sur la base de la récolte.
Autre risque, le régisseur pourrait chercher « un jour à se voir reconnaître le statut de salarié s’il démontre un lien de subordination avec le propriétaire, souligne Samuel Crevel. Si on prend un peu de hauteur européenne, il n’est pas exclu non plus, si tant est que les critères actuels se resserrent un peu, que ce propriétaire qui consent une délégation intégrale cesse d’être un jour regardé comme un agriculteur actif puisqu’il n’exploiterait plus matériellement. Il s’exposerait donc à la perte de ses aides Pac. »