L’histoire
Qu’en est-il du sort du bail consenti à des copreneurs lorsque le vent a soufflé en tempête sur le couple ? Grégoire avait consenti à Basile et à son épouse Adèle un bail rural portant sur diverses parcelles de terre. Celui-ci s’était renouvelé à trois reprises, en 1997, 2006 et 2015. Les époux avaient divorcé en 1998, et Adèle avait quitté l’exploitation. Basile, resté sur place, avait poursuivi, seul, la mise en valeur des biens loués dans le cadre du bail renouvelé. Parvenu à l’âge de la retraite, il avait sollicité du bailleur l’autorisation de céder le bail à son fils.
Le contentieux
Face à son refus, il avait saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en autorisation de cession, et Grégoire avait présenté une demande reconventionnelle (demande réalisée par un défenseur à un procès contre la personne qui l’attaque) en résiliation du bail. La demande du bailleur invoquait l’article L. 411-35 du code rural qui prohibe toute cession irrégulière du bail. Or Basile s’était présenté, à la suite du départ d’Adèle, comme seul fermier. Aussi devait-il être considéré comme cessionnaire illicite du droit au bail de son épouse, ce qui justifiait la résiliation.
Pourtant, cette argumentation de Grégoire était-elle pertinente ? Basile avait consulté le syndicat des fermiers qui l’avait rassuré. En effet, selon une jurisprudence bien établie, en cas de divorce, la renonciation à ses droits locatifs par l’un des époux copreneurs ne saurait être considérée comme une cession de bail au profit de l’autre, de sorte que le propriétaire n’est pas autorisé à demander la résiliation du contrat. La cessation de l’exploitation par Adèle à la suite du divorce des époux ne permettait donc pas à Grégoire d’obtenir la résiliation du bail près de vingt plus tard.
Le tribunal avait été convaincu et avait écarté la demande de résiliation. Mais la cour d’appel ne l’avait pas entendu ainsi. Elle s’était fondée sur une disposition de la loi d’avenir du 13 octobre 2014, qui accorde à l’un des copreneurs qui continue à exploiter les biens loués après le départ de l’autre, la faculté de demander au bailleur que le bail se poursuive à son seul nom. Et elle avait retenu que la demande d’autorisation prévue par la loi nouvelle n’avait pas été formée par l’époux resté sur place. Il y avait donc bien cession illicite du bail selon elle.
Mais c’était méconnaître l’article L. 411-46 que la Cour de cassation a rappelé en censurant l’arrêt d’appel. En cas de départ de l’un des conjoints ou partenaires d’un pacte civil de solidarité, copreneurs du bail, le conjoint ou le partenaire qui poursuit l’exploitation a droit au renouvellement du bail.
Aussi, la cour d’appel aurait dû rechercher, comme Basile l’avait demandé, si le bail ne s’était pas reconduit de plein droit au seul nom de ce dernier en 2006, puis en 2015 après son divorce, ce qui excluait que celui-ci fût irrégulièrement cessionnaire du droit de son ex-épouse.
L’épilogue
Basile pourra poursuivre la mise en valeur des parcelles, nonobstant son divorce prononcé vingt ans plus tôt. La pérennité de l’outil travail est assurée.