La vision est certes romantique. Le long de la route, la fumée s’élève des champs en feu. À certains endroits, les flammes viennent lécher les bords de la chaussée. La culture sur brûlis, censée assurer une fertilisation des sols par le feu, a disparu des zones rurales de l’Union européenne. Mais en Ukraine, elle reste une tradition bien ancrée. Pourtant, la pratique est interdite par la loi, en raison de son impact environnemental désastreux.

Les agriculteurs ukrainiens ont recours au brûlis « par manque de moyens mécaniques », explique Thibault Cordel, ingénieur en agriculture ayant longtemps travaillé en Ukraine. La pratique est fréquente sur des parcelles dédiées aux céréales, couvertes de débris végétaux après la récolte. La plupart des moissonneuses étant âgées et peu entretenues, les débris sont mal éparpillés et broyés, ce qui complique l’implantation de la culture suivante. Manquant de moyens techniques pour réaliser le mélange terre-paille, nombre d’agriculteurs choisissent de « simplement craquer une allumette », résume Thibault Cordel. « C’est une technique historique qui a fait ses preuves », défend Olga Mozgovaya, analyste au cabinet d’expertise AgroConsult, à Kiev. « Hormis les gros complexes agroalimentaires, la plupart des agriculteurs n’ont pas les moyens d’acheter des engrais et fertilisants. » Et de préciser qu’aucune statistique n’existe sur la pratique du brûlis.

Des riverains inquiets

Nécessité ferait donc loi. « Il est compliqué pour les autorités de pénaliser les brûlis, poursuit Olga Mozgovaya. Les procédures sont fastidieuses et les amendes trop faibles. »

Les populations locales s’inquiètent néanmoins des effets néfastes des brûlis sur la santé. Les réseaux sociaux se tapissent de photos de campagnes en feu et de fermiers brûlant tas de feuilles et de vieilles herbes. La ville de Drohobytch, dans l’ouest du pays, a ainsi dénoncé les risques « d’empoisonnement des enfants », causés par les feux enfumant la ville.

« J’ai écrit plusieurs lettres aux autorités de la région de Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine. Ça n’a rien changé », se désole Bernard Wilem, consultant belge pour les questions agricoles et propriétaire d’un élevage de chèvres. « L’impunité et l’immunité des incendiaires, le laxisme et l’irresponsabilité des conseils municipaux, de la police et autres fonctionnaires et élus sont inimaginables dans un pays qui se veut civilisé », avait-il écrit dans l’une de ces lettres, s’inquiétant aussi des effets désastreux sur la biodiversité.

De fait, c’est sur le long terme que les conséquences des brûlis généralisés pourraient s’avérer irrémédiables. La culture du brûlis est depuis longtemps décriée pour l’appauvrissement des sols qu’elle entraîne. « Certes, en Ukraine, grâce au tchernoziom, cette fertile terre noire, les agriculteurs partent avec quelques longueurs d’avance. Mais, il est beaucoup plus compliqué de redresser le taux de matière organique que de brûler », prévient Thibault Cordel.