Le texte, qui a pour effet de classer l’huile de palme dans les biocarburants non durables à cause de son effet sur la déforestation, a fait monter la tension d’un cran. Ces deux grands pays exportateurs craignent de voir leurs débouchés se restreindre après une chute de 15 % du cours de cette matière première l’an dernier.
Un risque de guerre commerciale
L’Indonésie veut porter l’affaire devant l’Organisation mondiale du commerce si le texte entre en vigueur. La Malaisie brandit elle la menace de rétorsions commerciales et se dit prête à acheter des armements ailleurs qu’en Europe.
« C’est un traitement inéquitable […] qui pourrait affecter les bonnes relations entre l’Union européenne et l’Indonésie », s’est insurgé Darmin Nasution, ministre indonésien chargé de coordonner les affaires économiques. « L’Indonésie est prête à porter cela devant l’OMC […] nous ne voulons pas être traités comme ça », a-t-il averti.
Avions contre huile ?
Le Premier ministre malaisien a prévenu dimanche : si les Européens « continuent à agir contre nous, nous allons réfléchir à acheter des chasseurs en Chine ou dans un autre pays ». La Malaisie est courtisée pour un contrat visant à remplacer sa flotte russe vieillissante de Mig-29 par des Rafale français ou des Typhoon du consortium européen Eurofighter.
Jakarta et Kuala Lumpur considèrent l’huile de palme comme stratégique, car elle apporte de devises et est dominée par de puissants conglomérats. Les deux pays soulignent que le secteur a permis de sortir de la pauvreté des millions d’agriculteurs. Mais l’huile de palme est montrée du doigt par les défenseurs de l’environnement pour la déforestation qu’elle entraîne.
Biodiversité et changement climatique
L’Union européenne souligne de son côté que l’huile de palme contribue fortement au changement climatique par les émissions de gaz à effet de serre induites. Par conséquent elle juge que le biocarburant à base d’huile de palme ne peut pas être pris en compte pour les objectifs que s’est fixée l’Europe en termes d’utilisation des énergies renouvelables.
« L’idée est d’éviter que l’Union européenne consomme des biocarburants dont la production aura généré plus de gaz à effet de serre que l’utilisation d’énergie fossile », souligne Vincent Guérend, ambassadeur de l’Union européenne en Indonésie.
Un moratoire sur les nouvelles plantations
L’Indonésie « s’est efforcée de réduire les émissions de dioxyde de carbone, de protéger les orangs-outans, mais les Indonésiens sont importants aussi », objecte Luhut Panjaitan, ministre des Affaires maritimes. Signe de bonne volonté, l’Indonésie a décrété en 2018 un moratoire de trois ans sur le développement de nouvelle plantation de palmiers à huile.
Les deux pays avaient déjà enclenché un intense lobbying l’an dernier contre une directive européenne qui recommande, dans le cadre des objectifs de l’Union européenne en matière d’énergie renouvelable, de réduire l’utilisation de l’huile de palme dans les biocarburants européens pour atteindre zéro d’ici à 2030.
Un acte délégué adopté par les commissaires
Le texte réglementaire, un acte délégué adopté par les commissaires le 13 mars, est soumis à l’examen du Parlement européen et des pays. Si après deux mois, ils ne formulent aucune objection, le texte entrera en vigueur. L’Indonésie et la Malaisie crient à la discrimination et dénoncent une « barrière protectionniste » destinée à avantager les producteurs européens de biocarburants.
« S’il y a un différent commercial, il doit effectivement être porté devant l’OMC », note Vincent Guérend. Jakarta a laissé entendre qu’elle pourrait suspendre les négociations en cours sur un accord de libre-échange avec l’Union européenne. Interrogé sur une potentielle guerre commerciale, l’ambassadeur européen minimise ce risque : « Ce n’est pas l’Union européenne qui la déclenchera. »