Ils vivent dans le Sud, le Nord ou à la pointe de la Bretagne mais ont un point commun : quand ils se sont lancés, on leur a ri au nez. « Une femme seule, en bio, sur 30 ha dans le Pas-de-Calais, il fallait y croire !, énumère Emilie Hecquet (lire l’encadré ci-contre). C’est sûr que, dans un système classique, je ne m’en serais pas sortie. » Avec peu de surface, on n’a pas le choix : il faut créer le maximum de valeur. Faire du bio, du label, vendre en direct, transformer, mais aussi aller sur des marchés ou des productions méconnues. Ce qui demande passion et persévérance.
Ténacité
« C’est très lourd de monter un dossier quand personne ne croit à votre projet », confie Christophe Guénon, installé en 2010 sur la ferme familiale à Léognan, 10 ha en périphérie de Bordeaux. Et pour cause : il projette de monter un troupeau de vaches bordelaises, une race menacée d’extinction dont il reste quelques dizaines de représentantes. Il démarre avec un taureau et deux génisses placés en convention par le Conservatoire des races d’Aquitaine en 2011. Pour chaque femelle prêtée, il rend une génisse au bout de quatre ans. Chaque année, on lui confie un nouveau taureau pour la saison de reproduction. Six ans plus tard, il a 37 bêtes, qu’il appelle par leur prénom : le plus gros troupeau de bordelaises en race pure !
Au départ, une toute petite activité de maraîchage bio en vente directe (300 m2 de serres et moins de 1 000 m2 de plein champ) le fait vivre. « Je voulais que le maraîchage s’autofinance, en plus de financer l’élevage, raconte Christophe. Alors j’ai augmenté par petits pas, en construisant une nouvelle serre chaque année. » Quand il passe en CDOA en 2012 (car il met deux ans à atteindre la surface minimum d’installation), son « projet utopiste » fait sourire. Mais il poursuit. Un bail environnemental avec le département lui donne accès à 32 ha en zone Natura 2000, à 8 km de l’exploitation, en périurbain. On n’est pas difficile quand la pression foncière est forte. Et le loyer n’est pas cher.
Aujourd’hui, il cultive 1 300m2 de serres et 5 000m2 de plein champ. Grâce à la vente de reproducteurs et de viande de veau en caissette, l’élevage commence à être rentable. « Il y a tellement de demandes que j’ai une liste d’attente pour les légumes, la viande et les reproducteurs. » Seul bémol : la charge de travail. « Je peux compter sur des stagiaires et un peu d’aide familiale. Mais mon objectif est d’embaucher quelqu’un sur la partie maraîchage. Je dois pour cela augmenter encore un peu le troupeau. » Avec 0,48 UGB/ha, il a de la marge. « Il faut faire confiance aux jeunes qui portent des systèmes alternatifs. »
Dans le Finistère, Jean-Claude Ebrel n’a pas eu peur, lui non plus, de passer pour un fou, il y a vingt ans, quand il s’est installé sur 5 ha avec trois vaches bretonnes pie noire. À quarante ans, sans formation agricole, cet ex-salarié d’une compagnie d’assurances apprend sur le tas, trait au champ avec une petite machine, transforme et vend du fromage. « J’ai augmenté progressivement jusqu’à 15 ha et dix vaches, pour 10 000 l de lait transformé en fromage et vendu en direct. Pas d’aides Pac et une certification bio qu’il abandonne au bout de dix ans, à cause de la charge administrative, bien qu’il continue à en appliquer les principes. »
Hors-système
« J’ai toujours gagné ma croûte correctement et j’ai adoré faire ce métier », raconte ce nouveau retraité qui a transmis sa ferme l’année dernière à un jeune d’une trentaine d’années, sans formation agricole non plus. Référent de la commission transmission-installation au sein du réseau Civam, il observe que « beaucoup de hors-cadres ou de porteurs de projets de plus de quarante ans sont accompagnés par les Civam car leurs projets seraient refusés dans les systèmes classiques ». Et il rage de voir « beaucoup de gens proches de la retraite, qui ont 40 ou 50 ha, à qui on dit que leur ferme n’est pas viable. À force de se l’entendre dire, ils risquent de la laisser pourrir au lieu de continuer à améliorer leur outil de travail pour le transmettre. » Pourtant, les petites fermes demandant peu d’apport en capitaux intéressent de nombreux candidats à l’installation, et de plus en plus « hors cadre » familial. Ils peuvent compter sur l’appui de structures « alternatives » (Civam, Ardear (1)...), mais aussi sur celui des collectivités.
Depuis 2011, le Copasol (Coopérative pour une agriculture solidaire) accompagne, avec l’aide du conseil régional de Picardie, des projets d’installation dont le critère taille est exclusif : moins de 70 ha par actif, en comptant les éventuelles fermes de la famille jusqu’au troisième degré. La diversité des projets- maraîchage, transformation fromagère ou meunière, vente directe de volaille, d’agneaux ou de légumineuses… - prouve que, quand on a peu d’hectares, on a des idées.
(1) Réseau de l’agriculture paysanne.