« En 2011, une très bonne année laitière, je faisais plus de 70 heures par semaine, et je ne gagnais pas ma vie, à peine 700 euros par mois. Aujourd’hui, la ferme permet de rémunérer cinq personnes, dont trois à temps plein et mon revenu atteint 2 500 euros », indique Marc Ben.

Comment un tel changement est-il possible avec la même surface ? Fils d’agriculteurs du Pas-de-Calais, Marc Ben s’installe à La Chapelle-sur-Aveyron, dans le Loiret, en 2007. Il reprend alors la ferme de la coopérative d’insémination Cecna (1), dans laquelle il est salarié, responsable d’exploitation. Il élève 70 vaches laitières sur 256 hectares. Ses parents le rejoignent comme salariés. Ils travaillent en système intensif : les vaches, nourries toute l’année au maïs, à la pulpe et au tourteau de colza, sans pâturage, produisent 10 000 litres de lait par an. « Nous faisions beaucoup d’heures pour peu de bénéfices, explique Marc. Nous avons tout repensé, pour avoir moins de travail et moins de charges. Il faut comparer la marge brute par vache, et non les litres produits par an. »

Des périodes de doute

Les vaches passent la majorité de l’année à l’herbe, en pâturage tournant et en logettes. Les vêlages sont regroupés en août-septembre et en février-mars, quand il y a moins de travail aux champs. Les races sont croisées, donc moins sensibles aux maladies, les veaux tètent les mères jusqu’à quatre mois.

Pour produire les yaourts, Mathilde travaille dans un container de 15 m2, loué à la laiterie Né d’une seule ferme. © A. Richard

Après le semis simplifié, le semis direct est instauré en 2014. L’éleveur a des périodes de doute : « Pendant deux-trois ans, la terre ne répondait pas. Je me suis demandé si j’avais fait le bon choix. » Au final, les résultats sont probants. « Les rendements ont diminué de 15 %, mais la marge brute est meilleure, poursuit-il. Nous avons gagné 2 000 heures motorisées par an. » Le troupeau est augmenté à 100 vaches laitières, pour produire 800 000 litres, mais s’ajoutent également des taurillons et des bœufs.

Porcs noirs et yaourts

Alexandre, le jeune frère de Marc, alors salarié de l’exploitation, s’installe en 2017. Après avoir rencontré un voisin boucher-charcutier, il se lance dans la production de porcs noirs de plein air. Une activité atypique dans le secteur. « Nous avons commencé par une quinzaine de porcs, puis nous sommes montés à quatre-vingts par an, raconte-t-il. Le boucher, le Père Miton, est notre unique client. Le plus difficile est de faire coïncider la production avec notre débouché, car les portées varient de quatre à dix porcelets et les carcasses très persillées, 40 % de gras, ne conviennent pas au circuit long. »

Lors de son installation, Alexandre Ben a développé un atelier de porcs noirs. © A. Richard

Dix-neuf parcs, entre prairie et forêt, ont été aménagés pour les porcelets et les truies. Les cochons mangent du grain, des déchets de triage et du tourteau de colza, et les truies boivent le colostrum des vaches. Cette activité occupe Alexandre à mi-temps.

En 2020, après le premier confinement, la femme d’Alexandre, Mathilde, ne souhaite plus être opticienne et cherche un nouveau métier. « Nous avons réfléchi à un atelier qui pourrait payer rapidement son salaire, sans nous agrandir. Dans la presse, nous avons vu un article sur la laiterie Né d’une seule ferme, qui propose des contrats de production avec de faibles apports », ajoute Marc.

La start-up loue un container pour fabriquer des yaourts (1 450 € par mois). Elle a mis au point les recettes et le procédé de fabrication. L’EARL Ben a seulement investi dans un container pour le stockage froid et quelques canalisations (20 000 €). Sur les 800 000 litres de lait produits à la ferme, 25 000 litres sont transformés en yaourts. Né d’une seule ferme assure la commercialisation des 400 000 yaourts auprès d’Intermarché, avec un contrat trisannuel. La marque n’a pas encore trouvé entièrement son débouché, mais les éleveurs sont payés sur la base de 50 000 litres par an. Ils ont le droit de vendre les yaourts à la ferme. Marc en a même proposé aux lycées et aux collèges du Loiret : « Cette solution évite la phase d’expérimentation des recettes et permet d’assurer un salaire fixe à Mathilde, sans passer la moitié du temps pour la commercialisation. Les installations sont plus vite amorties. »

Marc et Alexandre continuent de réfléchir à d’autres projets, mais toujours en calculant leur temps de travail et l’équilibre global de l’exploitation.

Aude Richard

(1) Coopérative d’élevage du Centre-Nord et de l’Aube.