Dans cette année agricole tourmentée climatiquement, le Brésil n’a pas fait exception. Depuis plusieurs mois, des évènements météorologiques extrêmes attribués au phénomène El Niño frappent le pays. La période cruciale des semis qui se déroule actuellement ne se déroule pas dans de bonnes conditions météo.
La pluie manque pour les semis
La sécheresse qui a touché une large part du Centre-Ouest brésilien a retardé les semis et le développement du soja dans la principale région productrice du pays. « Cette sécheresse prolongée comme cela, c’est la première fois et ce n’est pas normal », constate Lucas Bortolanza. Installé sur 580 hectares dans le Mato Grosso, ce jeune céréalier produit principalement du soja et du maïs avec ses trois salariés.
Les estimations pour la récolte prochaine de soja sont pour lui bien trop ambitieuses. « Le Monde attend que le Brésil produise 160 millions de tonnes, mais il ne le fera pas, affirme-t-il. D’après ce que nous voyons ici au Brésil, il y aura une énorme perte de production. » Un retard dans le semis, et ce sont quelques semaines de la saison des pluies dont le soja ne bénéficiera pas.
Céréales et élevage, même combat
Cette sécheresse n’est pas sans conséquences pour le maïs non plus, notamment celui semé juste après le soja pour la « safrinha », cette « petite récolte » devenue désormais la principale source de maïs du Brésil. Le retard dans les semis de la première récolte pourrait empêcher de semer une partie des surfaces pour cette « safrinha ». « La moitié de ce maïs ne sera pas semé je pense, car on ne sera plus dans la bonne période. Car plus tard, ce sera la saison sèche, ce qui est normal dans la région » prévoit, pessimiste, Lucas Bortolanza.
La sécheresse a également causé d’importants tourments logistiques cette année. Les grands fleuves n’étant pas assez alimentés, toute la remontée de la production vers les ports du Nord s’est retrouvée entravée. « Vers l’arc nord et les ports de Porto Velho, Miritituba et Barcarena, le débit a considérablement diminué, souligne Lucas Bortolanza. Résultat, les marchandises se sont accumulées vers les ports de Santos ou Paranaguá et les primes ont baissé. »
Pedro Piffero élève 600 bovins dans l’État du Rio Grande do Sul sur 750 hectares, et les derniers mois n’ont pas été faciles pour lui non plus. Pour la troisième année consécutive, la région qui est à la frontière avec l’Argentine et l’Uruguay, a de nouveau subi une sécheresse sévère en 2023.
« Cela a commencé en octobre de l’année dernière, nous avons eu d’énormes difficultés de pâturage pour le bétail, et nous n’avons pas pu les faire pâturer l’été », décrit-il. Ses animaux Braford, ce croisement entre la hereford britannique et des races de zébu, ont ont dû alterner les passages en pâture pour tenir le coup.
« Je n’en ai pas l’habitude, mais cela m’a permis de ne pas trop dégrader leur état corporel, ajoute-t-il. J’ai dû aussi donner du foin et quelques compléments. » Plus récemment, cette sécheresse intense a fait place à des pluies diluviennes qui n’ont rien arrangé. « Ce sont les extrêmes. Les excès de pluie m’ont empêché de préparer les prairies pour le pâturage d’été (décembre-mars). Je reste coincé avec mes semences et mes engrais. »
Un marché de la viande déprimé
Et comme un malheur n’arrive jamais seul, 2023 fut aussi une année marquée par des prix bas de la viande bovine dans tout le pays. « D’habitude, le marché remonte durant le second semestre, mais ça n’a pas été le cas cette année, bien au contraire », se lamente Pedro Piffero. Avec un espoir tout de même : « Je pense que c’est un cycle qui va s’inverser au second semestre de 2024. Mais pour moi cette année, avec la hausse des coûts en plus, je vais clôturer dans le rouge. »
Augmenter le portefeuille client
Le poids de l’économie agricole pour le Brésil confère un rôle particulier à son ministre de l’Agriculture. Souvent relais des puissantes filières végétales et animales, il est surtout leur ambassadeur dans la quête de nouveaux marchés à l’étranger. Visites en Chine, en Inde, en Indonésie, en Arabie Saoudite ou plus récemment en Allemagne, Carlos Fávaro a multiplié les rencontres et signatures d’accords commerciaux ou de coopération en 2023.
C’est que l’année a été plus difficile sur le front des exportations, précisément en viande bovine. Un cas d’ESB (1) atypique a ainsi fermé pour plusieurs semaines les portes du marché chinois qui représente près de la moitié des exportations du Brésil. L’intérêt de diversifier les destinations est donc constant.
Un accord d’envergure comme entre le Mercosur et l’Union européenne fait partie de cette stratégie. Sur ce dossier, c’est le président Lula lui-même, pourtant boudé par la profession lors de sa campagne électorale, qui est allé au front, sans succès pour le moment. Cette première année de mandat n’a d’ailleurs pas permis au président brésilien d’améliorer l’image de son agriculture à l’étranger, malgré les progrès sur le terrain.
Sur le front amazonien notamment, la baisse de la déforestation a atteint 22 % par rapport à 2022. Mais dans le Cerrado, la savane du centre-ouest du pays, le bilan n’est pas positif avec une hausse de 3 % sur l’année. Des chiffres et une réputation qui ne plaisent pas à Lucas Bortolanza.
« Oui, de nombreux producteurs en sont conscients et nous sommes toujours à la recherche d’améliorations, assure l’éleveur. Il faut montrer que l’agriculture brésilienne est durable car c’est une minorité qui pratique la déforestation. La majorité contribue à ce que cela ne soit pas fait et il y a des sanctions très sévères. Nous devons féliciter le pays et je crois que ce sera bientôt reconnu. »
Le récent programme pour la réhabilitation de près de 40 millions d’hectares de pâturages dégradés pour les rendre de nouveau productifs et éviter la déforestation fait partie des projets que le pays veut mettre en avant à l’international, et tenter d’attirer des financements.
La tentation de la montée en gamme
La mauvaise image de l’agriculture brésilienne et de son élevage, en particulier, masque parfois la diversité au sein même des filières. Loin des feedlots géants du Mato Grosso, beaucoup d’éleveurs misent sur la qualité comme Pedro Piffero. « Je pense qu’une production différenciée comme ce que nous faisons dans le Rio Grande do Sul peut atteindre le consommateur. Une viande différente du zébu blanc que la Chine achète en volume à prix bas. »
Les frontières brésiliennes ne sont est en effet pas hermétiques à la concurrence. « Les tables des restaurants de Rio ou de São Paulo sont remplies de viandes d’Uruguay et d’Argentine », regrette Pedro Piffero. Mais le virage vers la qualité est peut-être amorcé. « Le Brésil travaille à l’améliorer. Le Centre-Ouest commence à faire venir des angus pour faire des croisements par exemple. C’est un signal. »
(1) encéphalopathie spongiforme bovine.