La surveillance des mortalités aiguës des abeilles est effectuée conjointement par les services régionaux de l’alimentation (Sral) et les services départementaux. Ainsi, quand un incident survenant dans un rucher est signalé (195 alertes sur 52 départements en 2015), une enquête est réalisée pour définir l’atteinte au rucher (mortalité aiguë, risque sanitaire) et tenter d’en expliquer les causes (pathogènes, toxiques, conduite des colonies, pratiques agricoles). Ceci est la théorie.

Si peu de mortalité d’abeilles liée aux produits phyto ?

Un bilan des signalements et causes de mortalité des abeilles rédigé par la DGAL (Direction générale de l’alimentation), et paru dans la revue spécialisée La Santé des Abeilles en octobre 2016, indique que « la première cause des mortalités déclarées d’abeilles serait pathologique, la deuxième étant les mauvaises pratiques apicoles (1) », précise l’Unaf dans un communiqué paru ce vendredi.

Surpris de la faible proportion de mortalité imputée à des intoxications par des produits phytosanitaires (« seulement 6,6 % des cas »), comme du mode de publication du bilan – « sans être informé de sa parution », l’Unaf a mené une enquête. Et levé plusieurs lièvres.

Une implication inégale sur le territoire

De l’analyse des données fournies par la DGAL, il ressort, selon l’Unaf, que la prise en compte des troubles des abeilles et l’investissement de l’Administration pour les enquêtes engagées « ne [sont] pas comparables d’une région à l’autre », sans que ces disparités ne soient expliquées. « Certaines régions ne font jamais ou très rarement pratiquer des analyses toxicologiques quand d’autres en commandent dans plus de 60 % des déclarations », précise le communiqué. Il peut s’agir de manque de budget, indique Gilles Lanio, président de l’Unaf, « mais on se demande si c’est bien coordonné ».

L’interprétation des données faite par la DGAL remise en cause

L’Unaf annonce aussi « des biais réglementaires et statistiques » dans le bilan national, conduisant à une « surreprésentation des causes pathologiques » expliquant la mortalité des abeilles. Dans son estimation (voir graphique), elle attribue ces causes à 16 % des cas de mortalité d’abeilles, contre 38 % selon la DGAL.

L’impact des résidus des pesticides sur la mortalité des abeilles, est, lui, sous-évalué selon l’Unaf. Le syndicat attribue à 26 % des cas de mortalité la possibilité d’une intoxication, contre 6,6 % pour la DGAL. Sur ce point, l’Unaf déplore plusieurs points méthodologiques : « le savoir a évolué, il faut prendre en compte les progrès de la recherche » indique Gilles Lanio.

Ainsi, « effets synergiques », « molécules notées peu toxiques pour les abeilles », mais pas sans danger (2), et seuils de toxicité prenant en compte le fait que « la mortalité peut survenir pour des quantités toxiques bien plus faibles » que la DL50 doivent être considérés dans les analyses toxicologiques, selon le syndicat.

Participation des parties prenantes à la gouvernance de l’organe de surveillance

La surveillance des abeilles fait l’objet d’un dispositif qui s’est étoffé petit à petit. Un « Observatoire des mortalités et des affaiblissements des colonies d’abeilles », impliquant la DGAL et l’ITSAP-Institut de l’abeille, est ainsi en cours de construction. Il a pour vocation l’inventaire et l’analyse de la dynamique spatio-temporelle des mortalités et des affaiblissements des colonies.

Compte tenu du fait que le dispositif actuel de surveillance des mortalités massives aiguës d’abeilles mis en œuvre au niveau national est « défaillant et non-fiable », selon Gilles Lanio, président de l’Unaf, le syndicat demande, « afin de recommander à ses adhérents de s’engager dans des déclarations en cas de troubles […], que le processus de collecte des données, leur qualité et leur exploitation soient évalués au plan national par un comité d’experts indépendants rassemblant les parties prenantes, y compris les apiculteurs au travers de leurs organisations syndicales ».

« Les organisations syndicales apicoles et agricoles veulent pouvoir donner leur avis. » Mais pour l’heure, et en période préélectorale, toute source de conflit est écartée par l’Administration : la réunion du comité sanitaire ad hoc prévue aujourd’hui et à l’occasion de laquelle l’Unaf souhaitait présenter sa contre-analyse a été reportée au 21 avril prochain. « En pleine saison apicole », déplore Gilles Lanio.

A. Cas.

(1) Mauvaises pratiques apicoles (14 % des cas en 2015) : lutte contre le varroa non conforme (produits « maison »), mauvaise préparation à l’hivernage, couvain refroidi, famine et dépopulation en sortie d’hiver…

(2) L’Unaf cite notamment le boscalide et le chlorotalonil.

.