« Pour ma défense, je me retranche derrière le fait que mes indications ne sont pas obligatoires. Chacun peut en effet s’en écarter comme il le souhaite. Mais nous verrons bien sur quoi cela débouche. »
Le médiateur des relations commerciales agricoles, Francis Amand, n’est pas serein : le dispositif de médiation instauré en France en 2010, afin de faciliter la conclusion de contrats équilibrés entre l’agriculteur et son premier acheteur, fait l’objet actuellement d’une enquête de la Commission européenne.
« D’une main tremblante »
Ce qui pose un problème sont « les consensus et les arbitrages réalisés, en 2015, sur les filières du lait, du porc et de la viande de bœuf », a précisé Francis Amand, lors du Congrès européen de droit rural, organisé du 21 au 23 septembre, par l’Association française de droit rural (AFDR), à Lille.
« À partir de 2013, et parce que la crise du lait faisait qu’il était nécessaire que les pouvoirs publics interviennent, nous avons construit des consensus au sein des filières, pour trouver des rémunérations – du moins temporairement – plus équilibrées entre les éleveurs, les transformateurs et les distributeurs, se rappelle Francis Amand. Nous l’avons fait d’une main tremblante, et nous avons bien fait de trembler, puisqu’aujourd’hui la médiation fait l’objet d’une enquête. »
Francis Amand a prévenu toutefois ne pas renoncer et poursuivre son action : « Nous faisons désormais de l’ingénierie contractuelle au sein des filières, de manière à prendre en compte un certain nombre de desiderata sociétaux. Nous travaillons depuis six mois à accorder la filière des œufs, du distributeur jusqu’au producteur, pour financer la transition de l’œuf en cage à l’œuf de plein air ».
1 000 différends réglés depuis 2012
Instauré en 2010, mais réellement lancé en 2012, le dispositif de médiation a réglé à ce jour près de 1 000 différends entre contractants.
« Nous avons aujourd’hui une vingtaine de dossiers ouverts, de toute nature, pour lequel le médiateur est appelé pour arranger les différends contractuels ou les différends dans les relations commerciales. »
La montée en charge progressive de la médiation s’est accompagnée d’une diversité croissante de son intervention. « Au tout début, nous avons surtout été saisis pour améliorer la qualité des contrats, nous faisions la chasse aux clauses contestables ou non claires. Et il y en avait beaucoup. »
La médiation s’est ensuite concentrée non plus sur la formation du contrat, mais sur sa mise en œuvre : « Nous nous sommes intéressés à l’équilibre des délais de résiliation, à des questions d’exclusivité, etc. Nous sommes beaucoup intervenus sur le fond pour essayer que des relations se poursuivent. » Puis le dispositif s’est emparé de préoccupations plus collectives, notamment des contrats-cadres sur la qualité, conclus entre des organisations de producteurs ou des groupements de producteurs et leur client.
À partir de 2013, la crise du lait l’a mobilisé. En 2015, les filières de la viande de bœuf et du porc ont suivi.
Une efficacité relative
Pour quelle efficacité ? Francis Amand reconnaît que la médiation ne s’est pas toujours révélée pertinente : « A l’expérience, je peux dire que la médiation est efficace pour deux types de dossiers, et inefficace pour un troisième type. Quand le médiateur est appelé à intervenir entre un petit et un très gros, là il est efficace, parce que ce que le très gros concède au petit ne lui coûte pas. On résout donc beaucoup de petits dossiers à la satisfaction du petit demandeur. On est aussi très efficace quand tout est “cartellisé” : quand le demandeur se présente “globalisé” face à une contrepartie elle-même globalisée : comme les consensus de filière construits en 2015, sur les trois filières. »
En revanche, pour tous les dossiers intermédiaires, portés par une collectivité d’agriculteurs ou d’éleveurs, regroupés en OP suffisamment importante face à une laiterie, « c’est beaucoup plus difficile. Nous avons là une efficacité plus limitée ».
L’entourloupe
Et face à ce dispositif de médiation qui n’impose rien, ne condamne personne et dont l’efficacité n’est donc pas toujours prouvée, la Commission européenne continue à craindre l’entourloupe.
Pour Francis Amand, la médiation doit être maintenue, car même en l’absence d’accord, « elle permet à chacun des partis d’au moins progresser dans la compréhension de sa filière », argumente-t-il.
Au sein des États membres, la France est la seule à avoir mis en place la médiation dans ses relations commerciales agricoles.