"Je parle d’odyssée, car l’agriculture va vivre dans les prochaines années un voyage semé d’embûches : elle devra répondre à des attentes multiples, tout en étant canalisée par les politiques publiques. En France, il me semble clair que l’agriculture sera plus « naturelle » et maintiendra, voire augmentera sa production.
Et pour cela, nous avons la science ! Et le champ des découvertes est encore tellement vaste, sur l’agroécologie, les microbiotes, l’épigénétique, les biostimulants, etc. Je pense aussi que l’agriculture sera paysanne, au sens où elle sera davantage ajustée à un terroir et à un écosystème.
Davantage de salariés
L’agriculture comptera toujours autant d’actifs, mais il y aura moins de chefs d’exploitation et plus de salariés — qu’il faudra savoir payer correctement. Ceux qui anticipent une « hémorragie » se trompent ! Il faut séparer les notions d’actifs à renouveler et d’entreprises à reprendre. La pyramide des âges entraînera certes des départs massifs d’agriculteurs, estimés à près de 200 000 dans les dix prochaines années.
Mais il n’y aura pas autant de fermes à transmettre, je parierai plutôt sur la moitié, soit 100 000. Car la moitié des exploitations sont en société et ne seront pas à céder. Dans un Gaec mère-fils, quand la mère part, soit le fils reste seul et simplifie son système, soit il trouve un associé, soit il embauche un salarié.
S’ouvrir aux capitaux extérieurs
Le foncier est un enjeu crucial. Les départs à la retraite vont accélérer la mobilité foncière : lorsque les baux sont au nom de l’agriculteur sortant, il y a un risque que le propriétaire en profite pour vendre. Ce qui peut gravement pénaliser le candidat à la reprise ou les associés restants. Il faut tout faire pour éviter que l’agriculteur ait à acheter les terres. Multiplier des sociétés foncières qui proposent des baux cessibles — comme cela existe pour les baux commerciaux — me semble une bonne solution. Les revenus d’un agriculteur doivent lui servir à vivre et à développer de la valeur ; or le foncier ne crée pas de la valeur !
La forte capitalisation des exploitations est aussi un frein à la reprise et à l’investissement. Il faut faire entrer des capitaux extérieurs dans les exploitations et partager la propriété des actifs. L’agriculteur pourra rémunérer ses actionnaires, ce qui lui coûtera moins cher que de rembourser un emprunt. Les dividendes versés sont comme les intérêts d’un prêt, mais il n’y a pas de capital à rembourser. Quant aux actionnaires, je pense qu’il serait dangereux que l’aval — coopérative et grande distribution — prenne directement des participations dans les exploitations. Mais un fonds d’investissement multi-actionnaires semble une voie intéressante.
Je suis résolument positif sur la capacité des agriculteurs à vivre de leur métier. Sur les 40 dernières années, le résultat moyen par agriculteur a triplé, alors que le revenu disponible par Français n’a que doublé. Certes, il y a de grandes disparités entre les filières. Mais je voudrais surtout mettre l’accent sur les écarts de performances entre les exploitations d’une même filière, qui interrogent sur les compétences individuelles des gérants, mais aussi sur l’efficacité des structures de conseil agricole. C’est un sujet qui dérange. Mais j’y vois une raison d’espérer : bien formés et mieux accompagnés, les exploitants n’en seront que plus performants."
(1) « 2041, l’odyssée paysanne. Pour la santé de l’homme et de la planète », Jean-Marie Séronie, 200 pages, aux Éditions France Agricole, 2022.