« La transition agroécologique menée par le gouvernement s’appuie en partie sur des évolutions dans les connaissances en matière de produits phytosanitaires. Les décisions qui en découlent sont parfois lourdes de conséquences pour les agriculteurs français qui doivent faire face notamment à des distorsions de concurrence. Ces distorsions peuvent provenir de pays tiers extérieurs à l’Union européenne (UE).

 

Ce fut le cas notamment des cerises d’origine turque produites avec le diméthoate pourtant interdit en France. Mais des distorsions existent également au sein même de l’UE. C’est le cas pour les producteurs français de carottes de Créances, qui n’ont plus de moyens de lutte contre le nématode à kyste, à l’inverse de plusieurs de leurs voisins européens .

 

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Rupture d’égalité

La situation est insoutenable pour de nombreux producteurs que l’État laisse sans alternatives et souvent sans accompagnement technique et financier. Ce sont des filières entières qui sont mises en danger et qui risquent de disparaître. En effet, elles n’ont aucun moyen de rivaliser économiquement avec les pays tiers qui continuent de produire et de commercialiser sur le territoire français des produits avec des substances pourtant interdites en France.

 

Ce traitement différencié et la position dans laquelle se retrouvent les producteurs français, c’est ce que nous appelons une rupture d’égalité et une distorsion de concurrence. Cette situation est contraire à l’État de droit et peut permettre d’engager la responsabilité de l’État pour carence fautive devant les juridictions nationales.

Invoquer la loi Egalim

Par ailleurs, les producteurs peuvent aussi faire valoir, devant un tribunal, le non-respect de l’article 44 de la loi Egalim aujourd’hui codifié dans le code rural. Celui-ci interdit l’entrée sur le sol français de denrées cultivées avec des produits interdits en France. Dans certaines conditions, les producteurs peuvent également obtenir des subventions via des fonds comme le FMSE (1), pour les accompagner dans la mise en place d’alternatives efficaces.

 

Au niveau européen, l’État français peut saisir la Commission européenne pour demander la mise en œuvre de clauses de sauvegarde comme cela a été fait pour les cerises avec la Turquie, protégeant les producteurs français de l’importation de produits étrangers cultivés dans des conditions de distorsion de concurrence. Mais les clauses de sauvegarde visant à stopper les produits déloyaux aux frontières sont toutefois difficiles à mettre en œuvre, notamment par un manque de moyens de contrôle. Je reste persuadée pourtant que les lignes peuvent bouger. Sur l’aspect du contrôle aux frontières, la vigilance devrait être renforcée avec le recrutement d’environ 300 agents supplémentaires chargés d’analyser les produits à destination du marché intérieur.

 

La gestion de la sortie des produits phytopharmaceutiques n’est pas aisée. Le gouvernement français a récemment reculé les échéances au sujet de l’interdiction des néonicotinoïdes et du glyphosate faute d’alternatives adéquates. Ceci justement pour ne pas risquer de mettre en péril des filières entières et laisser le temps pour que des solutions pérennes soient trouvées. Ces cas vont faire école ; il y aura un avant et un après. À l’avenir on peut espérer plus de concertation et plus d’accompagnement des producteurs concernés. »

 

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(1) Fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental.