Dernière ligne droite. De nombreux éleveurs non adhérents d’organisations de producteurs (OP) ont reçu un courrier de leur laiterie début mars les invitant à leur transmettre une proposition de contrat ou, à défaut, de leur faire une demande d’avenant par écrit au plus vite.

La loi alimentation signe l’inversion de la contractualisation et le renforcement du rôle des OP. La proposition de contrat, ou l’avenant au contrat existant, doit désormais venir des producteurs ou, le cas échéant, de leurs OP. Alors que la loi Sapin 2 ouvrait la possibilité de prendre en compte des coûts de production dans les modalités de détermination du prix, la nouvelle loi la rend obligatoire (article L631-24 du code rural et de la pêche maritime). « À ce jour, toutes les OP ont entamé les négociations sur les accords-cadres avec les laiteries concernées », déclare Jehan Moreau, directeur général de la Fédération nationale des industries laitières (Fnil). Mais si un éleveur hors OP n’a pas fait de proposition de contrat à sa laiterie ou ne lui a pas délégué cette tâche avant le 1er avril, il s’expose à une amende pouvant aller jusqu’à 2 % de son chiffre d’affaires.

Appel au rassemblement

Les courriers reçus par les producteurs livrant Lactalis et Danone ont provoqué de vives réactions à l’amont de la filière. La Confédération paysanne appelle les éleveurs à « ne pas paniquer ». D’après Denis Jehannin, président de l’OP transversale France MilkBoard (FMB), « il y a une vraie pression derrière la signature de ces contrats, d’autant plus si l’éleveur sait sa collecte menacée. Ces courriers les poussent à déléguer l’écriture du contrat aux industriels en omettant volontairement de leur proposer de rejoindre une OP. »

« La première génération de contrats, en 2011, est passée en force avant même la création des OP et l’histoire se répète, insiste Véronique Le Floc’h, présidente de l’Organisation des producteurs de lait (OPL) de la Coordination rurale (CR). L’inversion de la contractualisation intervient alors que le rapport de force entre OP et laiteries n’a pas été rééquilibré. Les OP doivent au préalable se regrouper au maximum et pouvoir ouvrir l’adhésion aux coopérateurs. » André Bonnard, secrétaire général de la Fédération nationale des producteurs de lait (Fnpl), se dit favorable à l’adhésion aux OP transversales, « qui ouvrent la porte à la concurrence », mais n’encourage cependant pas un trop fort regroupement des OP. « Plutôt qu’un rapport de force, il faut penser agilité, explique-t-il. De trop gros volumes n’offrent plus la possibilité de changer de laiterie aussi facilement. »

Rejoindre une OP n’est cependant pas toujours une option. Si une exploitation livre à deux laiteries, il est impossible de rallier une OP qui n’a pas de contrats avec chacune des deux (cas des OP verticales notamment). « Au-delà du cadre législatif, rejoindre une OP dépend de l’intérêt et de la volonté des éleveurs à adhérer à une structure de représentation collective, mais aussi de l’attitude des laiteries à l’égard de ce type d’instance, estime Gérard You, responsable du service économie des filières à l’Institut de l’élevage (Idele). Il faut aussi prendre conscience que la position géographique de l’éleveur dans un bassin de collecte compte de plus en plus. Implanté à proximité de la laiterie, il a l’assurance d’être toujours collecté alors que ceux plus éloignés ont sans doute plus intérêt à se regrouper. » Actuellement, 50 % des éleveurs livrant dans le privé sont adhérents d’une OP mais les disparités sont importantes selon les laiteries : minoritaire chez Lactalis, l’adhésion est quasi intégrale chez Bel et Savencia.

Trouver la bonneformule

L’intégration des coûts de production est la traduction concrète de l’inversion de la construction des prix. Pour l’heure, la majorité des OP et syndicats se réfèrent à l’indicateur interprofessionnel égal à 396 €/1 000 litres. Calculé par l’Idele à partir des données du Réseau d’information comptable agricole (Rica) sur l’année 2016, il se base sur une rémunération de la main-d’œuvre à hauteur de deux Smic. De son côté, l’OP transversale FMB utilise l’indicateur « Milc » de l’Idele, jugé « plus réactif ». Cet indice mensuel, dérivé de l’Ipampa lait de vache, correspond à la différence entre les valeurs du panier de produits (hors rémunération) et celle du panier de charges (lait, cultures de vente et viande bovine).

Si pour Denis Jehannin et Véronique Le Floch « l’ensemble des volumes doit être concerné par la prise en compte des coûts de production afin de ne pas noyer le poisson », Claude Bonnet, président de l’Union nationale des éleveurs livreurs Lactalis, estime « qu’il est plus facile d’aller chercher de la valeur sur le marché intérieur, d’autant plus avec l’appui de la loi alimentation, non reconnue à l’international ».

Même si l’idée de remettre les conditions générales de vente dans les mains des producteurs est globalement soutenue par la filière, le directeur de la Fnil annonce que « les procédures vont durer car les premières propositions reçues ne correspondent pas à la réalité du marché et au mix-produit des entreprises. Les EGA ont fait rêver mais on est loin d’avoir obtenu ce qu’on voulait de la grande distribution. »

Plus que jamais, le respect de la loi alimentation et le retour de la valeur aux producteurs reposeront sur la bonne volonté des acteurs de la filière.

Alexandra Courty