«S’il faut toujours dire la vérité à la clien­tèle, il n’y a pas de commerce possible », ironisait Marcel Pagnol dans César. L’expérience de la chaîne agroalimentaire française prouve que l’opacité a, elle aussi, ses limites. Cette question de la transparence des filières est au cœur des États généraux de l’alimentation, voulus par le gouvernement. Après un laborieux lancement, le 20 juillet 2017, et un mois de casse-tête pour composer les groupes de travail, les choses sérieuses commencent enfin.

Réforme sans précédent

Lors de l’installation officielle des 14 ateliers, le 28 août dernier, le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, a promis « une réforme sans précédent de l’agriculture française ». Une restitution des travaux en grande pompe est prévue le 11 octobre 2017, par Emmanuel Macron lui-même. En tenant ce calendrier serré, le gouvernement espère pouvoir prendre des premières mesures pour l’ouverture des négociations commerciales. En attendant, tous les yeux sont rivés sur l’atelier numéro 5, qui a ouvert cette semaine le bal des réunions. Son intitulé : « Rendre les prix d’achat des produits agricoles plus rémunérateurs pour les agriculteurs ». La coprésidence de ce groupe de travail est revenue à François Eyraud, directeur général de « Produits frais Danone », et Serge Papin, PDG de système U. Cette mainmise de l’aval sur le groupe de travail inquiète les producteurs. Dans un contexte d’opacité des marges des uns ou des autres, Serge Papin reconnaît lui-même que le principal défi sera d’établir un diagnostic partagé par tous (lire l’interview ci-contre).

Comment y parvenir ? Chaque année, l’Observatoire des prix et des marges se prête à un exercice équivalent en livrant un rapport détaillé au Parlement. Son objectif : mettre tout le monde d’accord sur les chiffres publiés. « Les rapports sont adoptés à l’unanimité des membres, c’est-à-dire de toutes les familles professionnelles intéressées », explique Philippe Chalmin, président de l’Observatoire.

Affaire sensible

Ce dernier vient d’être reconduit pour trois ans à la tête de l’institution. Le feuilleton de sa nomination, repoussée de mois en mois depuis le printemps, illustre combien cette mission de transparence est une affaire sensible, à forte résonance politique. Il faut dire que certains résultats peinent à convaincre l’amont de la filière. L’universitaire Olivier Mevel, candidat évincé à cette présidence, est allé jusqu’à dénoncer un Observatoire « hors sol » aux résultats « plus que douteux », regrettant par ailleurs la neutralité du président. Soutenu par de nombreux producteurs et coopératives de l’Ouest, il espérait incarner un changement de cap. En vain.

À l’aube de son dernier mandat, Philippe Chalmin reste fermement attaché à cette neutralité tant décriée. « En tant que président, je ne dois être qu’un animateur et je m’interdis toute prise de position personnelle au-delà de l’avant-propos du rapport au Parlement que je signe. » Il reconnaît toutefois qu’il y a encore « des progrès à faire » sur le terrain de la transparence. « Si nous avons réussi à calculer les marges nettes de la grande distribution et des industriels de la viande, tel n’est pas le cas pour l’industrie laitière sur laquelle nos données, basées sur les comptes de l’Insee, sont beaucoup trop anciennes », explique-t-il.

Le prix du compromis

Le problème tient aussi aux contraintes inhérentes à l’exercice statistique. Pour parvenir, par exemple, à des marges nettes comparables entre enseignes de la distribution, les équipes de l’Observatoire appliquent des clés de calcul artificielles. Impossible d’avoir une photographie précise des comptes, entreprise par entreprise. « Il ne faut pas prendre les chiffres comme des valeurs absolues, mais comme des ordres de grandeur », justifie Philippe Chalmin.

Ces estimations ne suffisent plus à calmer la colère des agriculteurs dans le rouge. Elles sont pour autant les seules acceptées par tous comme point de départ des réflexions… Pas suffisant pour régler la question des prix rémunérateurs. C’est aussi au problème de la structure du marché que devront s’atteler les participants aux États généraux.