Du 23 au 26 mai, les citoyens européens éliront les députés qui les représenteront au Parlement européen. Un scrutin qui pourra changer la face politique de l’Union européenne (UE), alors que ces dernières années ont été marquées par l’émergence de courants populistes. Ces mouvements, qui considèrent que la société est divisée en deux entre le peuple et les élites, sont incarnés principalement par le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen et la Ligue italienne de Matteo Salvini.
La place minime qu’occupe l’agriculture dans les débats entourant ces élections n’est pas à la hauteur des enjeux qui attendent les nouveaux parlementaires. Ceux-ci partageront avec les chefs d’État ou de gouvernement la responsabilité d’amender les propositions de la Commission européenne sur la nouvelle Pac. Lesquelles s’appuient sur une proposition de budget amputé au profit de la gestion des frontières et de la défense de l’Union.
Trente-quatre listes un record
Les 34 listes candidates (1) aux élections en France ont dévoilé leurs programmes finalisés le 13 mai. Parmi elles, six sont créditées d’au moins 5 % d’intentions de vote au 14 mai, selon l’indice Euro-rolling de l’institut Ifop. En dessous de ce seuil, la liste ne peut prétendre à aucun siège à Strasbourg.
La France agricole a extrait les principaux points agricoles des programmes, dont une partie avait été présentée lors d’une conférence organisée par le Syndicat national de la presse agricole et rurale (SNPAR), le 18 avril à Paris. Des représentants des six principales listes y avaient été conviés. C’est une tête connue du syndicalisme agricole qui y avait ouvert le bal. Démissionnant de Jeunes Agriculteurs (JA) pour rejoindre la liste « Renaissance » de La République en marche (LREM) et du Modem, Jérémy Decerle voulait redonner à la Pac « des objectifs clairs et faire en sorte que l’Europe refasse de l’agriculture un secteur stratégique ». Le parti d’Emmanuel Macron plaide pour un maintien du budget de la Pac, avec un fléchage des aides en priorité vers « l’activité humaine », une augmentation massive du verdissement et un doublement des surfaces en bio. « Les aides seront données par rapport au nombre d’actifs, sans forcément imaginer un plafond, avait précisé le numéro 4 sur la liste. La capacité professionnelle, le temps donné à l’activité agricole et le revenu sont des critères qui pourraient être proposés par l’UE pour que chaque État membre puisse définir l’actif agricole. Cela permettrait d’exclure des personnes comme la reine d’Angleterre ou ceux qui héritent des terres et font faire du travail à façon. »
Sur le volet écologique, LREM défend « une sortie du glyphosate d’ici à 2021 et la division par deux des pesticides d’ici à 2025 ». Un programme qui tient du statu quo pour la France, mais où l’on sent poindre un désir d’harmonisation européenne… En matière d’agriculture comme d’écologie, le programme de LREM s’inscrit finalement dans la continuité de la politique menée par le gouvernement, malgré les personnalités choisies pour les incarner : l’ancien président de JA et l’ancien directeur général du WWF France, Pascal Canfin (numéro 2 de la liste).
Les Républicains (LR) et le Parti socialiste (PS-PP) regardent d’ailleurs avec circonspection l’alliance entre les deux hommes. Candidate sur la liste des Républicains, Anne Sander parlait d’« incohérence ». En termes de propositions, son parti n’incarne pas non plus la révolution. L’eurodéputée défend une simplification de la Pac devenue « un vrai casse-tête pour les agriculteurs », ainsi qu’un maintien intégral de son budget. Elle plaide en faveur d’« un deuxième pilier fort » dont la gestion serait confiée aux régions. Les aides à la conversion bio seraient « renforcées ». L’élue entend assurer « la continuité institutionnelle » de son collègue Michel Dantin, député des Républicains qui siégeait dans la commission agriculture du Parlement européen et qui a décidé de ne pas se représenter (lire page 23). Elle se dit comme lui en phase avec les trois rapports votés par ladite commission début avril, amendant le projet de réforme de la Pac de la Commission européenne.
Cibler les aides...
Adversaire de Michel Dantin au sein de cette commission agriculture, Éric Andrieu a décidé de se représenter. Numéro 3 de la liste « Parti socialiste-Place publique » (PS-PP), il peut espérer décrocher un siège. Il entend ainsi « poursuivre le travail commencé » dans la mandature actuelle, en s’opposant aux propositions de Bruxelles, qu’il estime ne pas aller assez loin. La liste socialiste défend une « politique agricole et alimentaire commune », dont 70 % du budget serait fléché vers « les pratiques visant l’abandon des phytos et des engrais de synthèse ». « Je suis contre la réforme proposée par la Commission européenne, qui ne répond pas aux grands enjeux de l’agriculture, assène l’eurodéputé. Je prône un recentrage vers une agriculture familiale et vertueuse. »
Cibler les aides, c’est aussi la volonté de la France insoumise (FI), qui s’affiche en faveur d’une « agriculture paysanne, bio et de proximité ». Favorable à des aides couplées pour relocaliser certaines productions en France, elle milite pour un plafonnement à 60 000 € par actif et pour le ciblage des aides sur les exploitations de moins de 100 ha. Ce fléchage vers les plus petites exploitations se retrouve aussi chez Génération.s de Benoît Hamon, ou à l’Union des démocrates et indépendants (UDI). Chez Europe écologie-Les Verts (EELV), ce souhait se traduit concrètement par un triplement du paiement redistributif aux 52 premiers hectares, et la création d’une aide forfaitaire aux petites fermes.
… ou tout reprendre à zéro ?
Arborant la fleur du collectif « Nous voulons des coquelicots » sur la veste, c’est Benoît Biteau qui avait été choisi pour présenter le projet d’EELV le 18 avril, à l’invitation du SNPAR. Il y avait déclaré vouloir « sortir de cette logique de distribuer les aides vers des surfaces et passer sur des unités de main-d’œuvre ». Le parti écologiste plaide pour « une agriculture 100 % bio et locale », avec une première échéance fixée à 30 % en 2025. Il prône « l’interdiction des pesticides et de tous les OGM » et le transfert des « aides bio » dans le premier pilier de la Pac.
C’est toutefois le RN qui campe sur la position la plus radicale, en proposant de remplacer la Pac par « une grande politique agricole française ». Représentant la liste soutenue par Marine Le Pen, Hervé Juvin estimait qu’il fallait « sortir des mensonges européens » et favoriser « le localisme ». A l’inverse de la tendance générale, il se disait « prudent sur le verdissement [qui] rajoute des charges sur des exploitations en difficulté ».
Selon ce qui sortira des urnes le soir du 26 mai, les négociations sur la Pac pourront prendre un virage serré. En général, le Parlement suit l’avis de sa commission agricole. Mais le renouvellement de l’Hémicycle, intervenant entre l’adoption des rapports en commission et leur vote en session plénière, pourrait rebattre les cartes… Et retarder davantage la mise en œuvre de la réforme de la Pac. Alexis Marcotte,
Bérengère Lafeuille
et Marie Salset