Pâtes sans gluten, jus de soja, lait d’amande, menu végétarien… Les régimes « sans » sont-ils une énième mode ou une lame de fond ? Avec à peine quelques pourcents de pratiquants, ils bénéficient d’un écho médiatique bien supérieur à leur diffusion. Au-delà de l’intérêt sociologique, prêter attention à ces consommateurs peut renseigner sur les nouvelles tendances : de quoi dénicher de nouveaux marchés, ou, à tout le moins, ajuster sa communication.

L’industrie agroalimentaire et la distribution ont déjà flairé le bon filon et profitent de la croissance à deux chiffres des marchés des produits « sans ». C’est ce qu’on nomme l’appel par l’offre : « La demande croissante entraîne une augmentation de l’offre, qui encourage à son tour la demande », explique Léon Guéguen, ancien directeur de recherche en nutrition de l’Inra et membre émérite de l’Académie d’agriculture de France. Un mécanisme bien illustré par le bio, qui a colonisé en quelques années les linéaires des grandes surfaces et les temps d’antenne, alors qu’il ne représente que 3,5 % des aliments consommés en France. Après tout, les commerçants font bien leur métier en répondant à la demande pour les aliments « sans ». Il n’y aurait rien à redire à cette stratégie commerciale, si elle ne conduisait à deux écueils.

Exploiter les peurs

Le premier est qu’en jouant sur les estampilles « sans OGM », « sans pesticides » ou « sans antibiotiques » sur les étiquettes, transformateurs et distributeurs laissent confusément penser que les autres produits seraient moins bons, voire toxiques ! Exploiter les peurs des consommateurs fait courir un risque de décrédibilisation pour l’ensemble des filières agricoles (lire encadré p. 15).

Le deuxième danger est d’ordre nutritionnel. « Si l’argument du “sans” ou plutôt du “pauvre en” est valable pour le sel, le sucre et dans une moindre mesure le gras, il n’est pas fondé pour le lactose, le gluten, les OGM, la viande ou encore le lait », poursuit Léon Guéguen. Un consommateur supprimant sans avis médical certains aliments s’exposerait au mieux à des déséquilibres, au pire à des carences.

Qui sont les nouveaux ennemis de nos assiettes, ces molécules qui nous empoisonnent, à en croire les incessants discours anxiogènes complaisamment relayés par les médias et les réseaux sociaux ? Commençons par le haro sur les protéines du gluten. Présentes dans le blé, le seigle et l’orge, elles se retrouvent en grande quantité dans le pain, à qui elles donnent élasticité et moelleux. Le gluten est introduit dans la majorité des produits transformés en qualité de texturant. Une personne sur 200, intolérante au gluten (maladie cœliaque), doit bannir absolument la protéine. Mais la plupart diminueraient de leur propre chef le gluten pour un meilleur confort digestif, ou simplement par effet « nocebo » (1). Mais bien qu’il soit dommage de se priver de fibres, minéraux, et protéines bénéfiques, ce régime n’est pas dangereux pour la santé.

Croisade anti-lait

Il n’en est pas de même, en revanche, pour le lactose. « Les conséquences de la suppression du lait sont importantes et négatives, car celle-ci prive l’organisme de nutriments essentiels difficilement apportés par le reste de l’alimentation », met en garde le Dr Jean-Michel Lecerf, chef du service nutrition de l’Institut Pasteur de Lille. Il déplore les discours anti-lait « sans bases scientifiques et épidémiologiques tangibles ». « Il n’y a pas d’augmentation de l’intolérance au lactose (qui a une cause génétique) et les allergies aux protéines de lait de vache concernent moins de 3 % des enfants en bas âge », affirme le médecin, qui rappelle qu’un bol de lait par jour ne fait de mal à personne. Pour autant, selon lui, le mal est fait : la moitié de la population a entendu des messages négatifs sur le lait et un quart a déjà réduit sa consommation. Le marché français est en repli continu depuis 6 ans, confirme le Cniel, l’interprofession laitière. Et la baisse des ventes de lait standard UHT ½ écrémé de 3,9 %, entre 2015 et 2016, n’a pas été compensée par les alternatives (lait bio, vitaminé ou délactosé).

Même érosion de la consommation de viande, avec une baisse continue (hors volaille) depuis une dizaine d’années. A priori sans danger pour l’équilibre nutritionnel. « Les Français consomment en moyenne trop de viande, et 25 % en mangent de façon excessive », pointe le Dr Lecerf, qui conseille une consommation modérée et de la qualité (2).

Espérons que le consommateur saura se repérer. Dommage que la presse féminine, les experts autoproclamés ou encore les sportifs semblent davantage écoutés que les médecins ou les scientifiques.

(1) Une substance semble toxique alors qu’elle est neutre. Inverse de l’effet placebo.

(2) Jean-Michel Lecerf est l’auteur de « La viande, un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout ? », 2016, aux éditions Buchet/Chastel.