De nouveau, la filière avicole est suspendue à la litanie des communes touchées par le virus de l’influenza aviaire (IA). Comme en 2015, il faut enrayer le plus vite possible la propagation de la maladie. Mais cette année, le danger vient du ciel, alors que l’an dernier, il était sous nos pieds. Lors de l’épizootie de fin 2015-début 2016, les souches impliquées étaient les H5N1, H5N2 et H5N9. Si la troisième était nouvelle en France, les deux premières étaient déjà présentes sous une forme faiblement pathogène dans la population aviaire, où elles ont probablement circulé à bas bruit avant de muter en une forme hautement pathogène. « Le virus se diffusait de canard en canard et d’élevage en élevage de façon très large. En revanche, cette année, ce sont des oiseaux sauvages qui ont contaminé les volatiles », souligne Anne Richard, de l’Itavi.

Le cru 2016 a pour nom H5N8. Sa propagation suit les routes migratoires depuis l’Asie jusqu’en Europe (voir carte), avant de poursuivre sa route vers l’Afrique – peut-être pour nous revenir au printemps prochain. Dans le Pas-de-Calais et la Haute-Savoie, ce sont des appelants et un goéland qui ont été touchés. Dans le Sud-Ouest, tous les foyers sont des élevages. Le premier détecté, dans le Tarn, a sans doute été contaminé par un oiseau sauvage, avant d’infecter ses voisins. Les foyers des autres départements seraient issus de la propagation du virus depuis l’un des élevages tarnais via des livraisons de canards.

Autre différence, « le H5N8 est très contagieux et très diffusible, avec un gros impact sur les volailles », souligne Jocelyn Marguerie, vétérinaire praticien. « Le virus est très pathogène pour les palmipèdes, alors qu’ils sont plutôt résistants d’habitude », complète Bruno Ferreira, du ministère de l’Agriculture. « Afin de préserver les élevages, il faut donc éviter tout contact entre les oiseaux et les volailles. Pour cela, il est indispensable de confiner les volailles au maximum et d’appliquer les mesures de biosécurité à la lettre », exhorte Anne Richard (lire l’encadré). « En revanche, le vide sanitaire prolongé à l’échelle d’une grande région n’aurait pas de sens », estime Bruno Ferreira.

Circonscrire le virus

Faut-il abattre ou « laisser faire la nature » en espérant l’acquisition d’une immunité ? Pour Gilles Salvat, de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), c’est illusoire : « Un animal immunisé continue d’excréter le virus, qui poursuivra sa diffusion dans l’environnement. Par ailleurs, les virus mutent très vite. Il faut s’en débarrasser au fur et à mesure, sans pour autant pouvoir garantir qu’ils ne reviendront pas. Mais les laisser circuler, c’est prendre le risque qu’ils s’installent dans nos populations aviaires domestiques en devenant encore plus pathogènes, et au terme de mutations successives, qu’ils s’adaptent à l’homme. Le H5N8 était présent en 2014, dans le nord de l’Europe, sous une forme pathogène. Il a muté et est revenu plus pathogène encore. Enfin, ces virus tuent beaucoup d’animaux. Ce sont plus des pestes que des grippes pour les volailles. »

La vaccination n’est pas une option retenue par la filière et les pouvoirs publics. Elle pourrait être utilisée en zone indemne en mesure d’urgence pour circonscrire rapidement une épizootie, mais elle présente trop d’inconvénients. Tout d’abord, son efficacité : un vaccin protège contre une souche mais pas contre toutes. De plus, « il n’empêche pas la circulation du virus sur les animaux infectés », souligne Gilles Salvat. Enfin, c’est un frein aux échanges commerciaux car les analyses usuelles ne permettent pas de différencier un animal vacciné d’un animal contaminé. Or, le retour au sacro-saint statut « indemne » est primordial pour les exportations françaises.

Echanger en groupes

Dans les Landes, la crise de l’an dernier a servi d’entraînement. « La chambre d’agriculture a conduit, début 2016, une cinquantaine de sessions de formation avec des vétérinaires, explique Eric Lafuente, son directeur. Elles ont réuni plus de 600 éleveurs de tous bords – en vente directe ou livreurs, avec de petits ou de gros volumes. Elles leur ont permis de prendre conscience des risques et d’échanger sur leurs pratiques. On a travaillé sur les portes des cages, difficiles à nettoyer, sur les lisiers, les parcours… » Suite aux nouveaux cas, la chambre a immédiatement « resensibilisé les éleveurs mais aussi les chasseurs, ajoute Eric Lafuente. C’est un nouveau coup dur mais, si on en reste à des foyers isolés, on peut gérer. Toutefois, la filière aura bien besoin d’un répit par la suite… »

Il tente aussi de relativiser les contraintes engendrées par les mesures de biosécurité. Les investissements ne sont pas insurmontables, même s’ils peuvent s’avérer lourds pour les petits producteurs. En revanche, la coexistence de plusieurs bandes devient quasiment impossible car elle oblige à autant de sas et d’équipements. Peut-être les éleveurs devront-ils s’organiser à plusieurs, sous-traiter une partie de la production ? Ces mesures demandent aussi davantage de temps. « Souvent, ils les appliquent au moins partiellement sans les avoir formalisées car ce sont des mesures de bon sens », souligne Jocelyn Marguerie, qui conseille d’aborder le sujet par l’organisation du travail. « Il faut à tout prix jouer le jeu. S’il y a un maillon faible, c’est l’ensemble de la filière qui est en péril », insiste Eric Lafuente. Elsa Casalegno