Sans stylo, ni bloc-notes, ni clavier, Jean-Loup Guigue imagine des contes. Sa mémoire sert de refuge à ses récits. « Je n’écris rien, tout est dans ma tête. Je suis incapable d’apprendre un texte », confie-t-il. Depuis qu’il conte, ce vigneron de Violès, dans le Vaucluse, a inventé une quinzaine d’histoires. « Il va falloir vous filmer, lui a dit son professeur de conte, Martine Duval. Ce serait dommage de ne conserver aucune trace de votre production. »

L’inspiration lui vient quand il taille ses vignes au grand air. « Les tâches répétitives sont propices à l’évasion », sourit Jean-Loup. Il y a quatre ans, il a décidé de prendre des cours. Le théâtre rural d’action culturelle (Trac) du village voisin de Beaumes-de-Venise proposait un atelier de conteur, le Trac’Conté. Il a sauté sur l’occasion. Une fois par semaine, il y retrouve d’autres conteurs amateurs. Jean-Loup est le seul agriculteur. Il puise son inspiration dans son métier. Ainsi, il a inventé le personnage de Martin. Un sombre jour d’orage et de grêle, celui-ciperd toute sa récolte : « Il voudrait crier, mais rien ne sort. » Seul le diable l’entend. Martin pactise avec ce dernier. Le malin lui promet que son tonneau se remplira d’un vin fameux pendant une année. En échange, il viendra le chercher « pour le conduire en enfer, où il y a besoin de bon vin ».

Langage soigné

Quand il conte, son regard bleu s’anime. Ses gestes et son phrasé tiennent l’auditoire en haleine. Il ponctue son récit d’expressions en provençal et de notes d’humour. « Martin est élu vigneron de l’année ! Il fait le buzz sur internet, les people se l’arrachent ! »

Jean-Loup tient à préciser : « Le conteur, c’est tout l’inverse d’un show-man. Il est au service de l’histoire, il s’efface pour laisser place à l’imaginaire du public. » Il se plie également à certaines règles : adopter le « langage du dimanche », soigné, recherché, dénué d’agressivité ; parler au présent ou au passé composé plutôt qu’au passé simple.

Jean-Loup agrémente ses récits d’objets du quotidien. Comme la tablette numérique de son épouse. Trente ans qu’ils s’aimaient !  dépeint un couple de vignerons. La femme meurt par accident en tombant du haut d’une cuve. Sauf qu’il n’y a eu ni analyses, ni autopsie. Sinon, on aurait découvert que Madame avait été assassinée par son mari, agacé par les bruits des pages de son journal le matin. À sa nouvelle épouse, il a offert une tablette. L’histoire ne s’arrête pas là… L’art du conteur, c’est aussi de laisser planer le suspense. Chantal Sarrazin