«Paroles d’agricultrices face à la crise » est un lieu d’échanges réservé aux agricultrices, aux conjointes d’exploitants et aux étudiantes en agriculture. « J’ai formé ce groupe, car face à la crise agricole, nous ne pouvons pas nous en sortir indemnes sans parler, explique Nadine Vitel, productrice de lait et de porcs à Jugon-les-Lacs, dans les Côtes-d’Armor. Cette crise nous fragilise, un mal-être s’installe. Les femmes sont en première ligne aux côtés de leurs conjoints, mais comme invisibles. On ne nous voit pas. »

Non issue du milieu agricole, cette femme de cinquante et un ans a souffert de l’isolement quand elle s’est installée sur l’exploitation, auprès de son mari, comme conjointe collaboratrice. Elle ne connaissait personne : pas de famille proche, pas d’amis. « Et dans le milieu rural, il est plutôt difficile de s’en faire », confie-t-elle.

Certains jours, Nadine ne parlait à personne, à part son époux ou son beau-père : « Je me suis surprise à parler toute seule, rien que pour entendre ma voix. » Elle n’a jamais dit qu’elle allait mal. Une hypothétique allergie en porcherie servait d’excuse à ses yeux rougis. « Moi qui étais une bonne vivante, au fil des années, j’ai perdu mon sourire, ma joie de vivre… », poursuit-elle.

Ne plus être seule

Nadine a entendu parler de formations à la chambre d’agriculture et a intégré le groupe « Agriculture au féminin ». La parole est revenue.

En 2012, nouveau coup dur ! Des soucis financiers de la ferme, liés à des malfaçons dans la salle de traite, la font replonger. « J’ai pensé à me suicider », avoue-t-elle dignement. Nadine s’est accrochée pour son mari et ses enfants. Habituée des réseaux sociaux et des forums de discussion sur internet, là encore elle ne trouvait pas sa place. L’agricultrice décide alors de créer un groupe d’échanges, pour ne plus être seule : « Je sais qu’un petit “bonjour”, ou un “comment vas-tu ?” peuvent égayer la vie d’une personne, même si ce n’est que virtuel. »

Lancé le 18 juin dernier, le groupe compte déjà 326 membres, dans toute la France. Sur la page Facebook, les femmes témoignent, publient des commentaires, des photos. C’est un groupe fermé, Nadine en est l’administratrice. Les discussions restent confidentielles. « Les participantes savent qu’elles ne seront ni jugées, ni critiquées, mais seulement écoutées, souligne-t-elle. Il y a une vraie solidarité entre nous. Je n’imaginais pas que ma démarche allait prendre une telle ampleur. »