«Nous élevons nos taureaux de Camargue pour qu’ils brillent dans l’arène ! » lance Jacques Mailhan, 60 ans, éleveur de taureaux de Camargue à Arles. Son élevage a remporté le « Biòu d’or » à trois reprises, en 1969, 1971 et 2009. Ce prix, décerné par la commission du trophée taurin, en alternance à Nîmes et à Arles, attire près de 10 000 personnes. Il clôture la saison de spectacles de jeu taurin auquel la manade (1) Fabre-Mailhan participe chaque année.

Dans les arènes

Rien à voir avec les corridas. « Nos taureaux participent uniquement aux courses camarguaises. Elles se déroulent, de novembre à mars, de Salon-de-Provence jusqu’aux portes de la ville de Montpellier, précise le manadier. Des jeunes gens, les raseteurs, se mesurent à nos animaux dans l’arène. Ils doivent attraper les attributs, cocardes et glands qui sont fixés au front et sur les cornes des taureaux que l’on surnomme les cocardiers. » Lors de la finale, le taureau vainqueur du Biòu d’Or se retrouve face aux meilleurs raseteurs. Tous les taureaux ne deviennent pas de grands cocardiers. Sur les 440 bêtes que compte la manade, seule une petite dizaine âgée de cinq à dix ans s’est hissée à ce rang. Les autres animaux participent à des spectacles de moindre envergure, où ils défendent aussi les couleurs de la manade.

Élevés dans les marais sauvages de la Camargue, les taureaux ne voient quasiment jamais l’homme. Excepté l’été, lors de la saison des spectacles. « Tous les matins, nous partons rassembler le troupeau pour le conduire sur les zones de travail où nous sélectionnons ceux qui ont été retenus par les organisateurs de spectacles, explique Jacques Mailhan. Nous les manipulons à distance et à cheval. » En plus des taureaux, Jacques élève une quinzaine de chevaux de race Camargue ainsi qu’une douzaine de poulinières pour la reproduction. « Nos chevaux pâturent sur les mêmes zones que les taureaux, poursuit-il. Ils vivent toute l’année dehors. Ils ne craignent ni la chaleur, ni le mistral, ni… les moustiques ! »

Les chevaux sont dressés à l’encadrement des troupeaux à partir de trois ans. « Il faut les mettre en confiance, expose Claire Mailhan, l’épouse de Jacques. Au départ, les gardians (2) les maintiennent à l’arrière du troupeau. Petit à petit, ils les rapprochent du cercle des taureaux. » Vers cinq ou six ans, les chevaux ont terminé leur apprentissage. « Ils peuvent anticiper les décisions du gardian, dit Claire. La relation de confiance s’inverse. C’est au cavalier de laisser l’animal suivre son instinct. »

Cahier des charges AOP

Ce sont les organisateurs de spectacle qui choisissent les taureaux. Un bon cocardier se loue de 1 000 à 2 000 € suivant la course et la renommée des arènes. Une vache entre 300 et 400 €, les jeunes taureaux aux alentours de 250 €. L’été, il y a des manifestations taurines tous les jours. Une vingtaine de gardians bénévoles se relaient pour aider l’éleveur à les rassembler, puis à les transporter en camion jusqu’au lieu des courses.

Les taureaux commencent leur carrière à partir de cinq ans. Les plus confirmés officient en moyenne huit fois dans la saison. Ils sont castrés à trois ans. C’est à cet âge que le manadier juge de leurs aptitudes à se produire dans les arènes. Il sélectionne ceux qui analysent leur environnement au mieux et se prêtent au jeu avec l’homme.

Une soixantaine de veaux naissent chaque année de janvier à avril. Les mères mettent bas sans aide. Le sevrage intervient à l’automne. Les veaux sont alors rapprochés des bâtiments du mas. Ils rejoignent leurs congénères un an plus tard. « Nous envoyons à l’abattoir Alazard & Roux de Tarascon un nombre de taureaux équivalent à celui des naissances, indique Jacques Mailhan. La viande répond au cahier des charges de l’AOP taureau de Camargue. Mais nous ne la vendons pas directement. »

Raoul, son fils de 26 ans, vient de s’installer seul sur des terres en location et en rachetant du bétail à son père. Il ambitionne de développer la vente directe.

(1) Troupeau libre de taureaux, de vaches ou de chevaux. (2) Mot provençal qui désigne le gardien d’une manade.